PROLÉGOMÈNES À UN DÉBAT SUR « L’ART CIRCONSTANCIEL »
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Pourquoi la circonstance est-elle devenue si présente dans les pratiques artistiques et les discours sur l’art ? Pourquoi, étant certes constitutive du fait d’art depuis bien longtemps et dans des cultures très diverses, fait-elle aujourd’hui « saillance » au point que de nombreux artistes la revendiquent comme étant la matière, le moteur, l’objet ou le sujet de leurs œuvres ?

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La première chose qui vient à l’esprit quand on associe les mots « art » et « circonstance », c’est qu’il n’existe peut-être pas une seule forme d’art, pas une seule pratique artistique qui soit totalement indépendante de quelque circonstance, où n’entre absolument aucune contingence… À commencer par la commande d’une œuvre qui, depuis l’Antiquité, peut constituer sa finalité contingente, donc circonstancielle, comme l’explique Ananda Coomaraswamy dans un texte inspiré par la conception traditionnelle de la beauté : « un homme n’accomplit pas une bonne action particulière pour le plaisir de sa beauté, car toute bonne action sera belle dans l’effet, mais il fait précisément cette bonne action que l’opportunité requiert, en relation de laquelle opportunité une autre bonne action serait inappropriée (ineptum) et par conséquent maladroite ou laideAnanda K. Coomaraswamy, La Théorie médiévale de la beauté, Éditions Archè / Edidit et La nef de Salomon, 1997, p. 30. ». Étant donné la source, platonicienne, on peut d’abord remplacer les occurrences de l’expression « bonne action » par autant d’occurrences de l’expression « œuvre d’art » – ou plus simplement par le terme « œuvre » – sans changer le sens de la phrase et, d’ailleurs, Ananda Coomaraswamy insiste, dans une note de bas de page, sur le rôle du commanditaire qui attend un certain plaisir et un certain service de l’objet fabriqué, car une chose « qui est la fin dans une opération peut elle-même être ordonnée à quelque chose d’autre jouant le rôle de finIbid., p. 29. ».

On pourrait également évoquer d’autres traditions ou d’autres cultures dans lesquelles cette conception de « l’agir » est présentée comme souhaitable, et parfois indispensable, pour l’accomplissement de la vie humaine, ainsi que l’expose François Jullien à propos de la pensée chinoise du temps : « Si l’on intervient au bon moment, ce qui se trouve ainsi engagé, au sein du procès des choses, s’inscrivant alors dans un réseau de facteurs favorables, se voit porté de lui-même à se déployer, d’une façon naturelle, sans qu’on ait plus dès lors à vouloir, à risquer ou peiner, ou même seulement à se dépenser. Occasion répond ainsi à situationFrançois Jullien, Du « temps ». Éléments d’une philosophie du vivre, Paris, Grasset & Fasquelle, 2001, p. 42.. » Et il cite le Laozi à l’appui de son exposé : « le bien quand on se met en mouvement est le moment – occasion ». Mais il souhaite aussi montrer que de telles conceptions ne sont pas nécessairement bornées à la pensée chinoise en évoquant une formule que Michel de Montaigne donne au terme de ses Essais [1580]. On pourrait discuter de ce rapprochement, mais il faut constater que les expressions Tempus capere, « saisir l’occasion » ou « vivre à propos » qu’on trouve dans les Essais, suggèrent, en effet, une conduite qui consisterait à « épouser » la circonstance, à se confier à des « causes » aléatoires, à des finalités qui ne sont nullement nécessaires. Et si l’on admet que les pratiques artistiques font partie de cet « agir » humain, alors elles pourraient, elles aussi, se saisir de toute opportunité qui se présente.

Mais cette conception de l’art n’explique pas pourquoi la circonstance est devenue si présente dans les pratiques artistiques et les discours sur l’art, pourquoi, étant certes constitutive du fait d’art depuis bien longtemps et dans des cultures très diverses, elle fait aujourd’hui « saillance » au point que de nombreux artistes la revendiquent comme étant la matière, le moteur, l’objet ou le sujet de leurs œuvres. Peut-être y a-t-il une pression du « monde de l’art », d’un « marché de l’art » qui impose un renouvellement permanent, et de plus en plus fréquent, des étiquettes qui désignent des objets qui peuvent n’être pas très différents de ceux qui ont été produits aux époques précédentes, mais qui doivent apparaître tels pour que leur soit conféré le statut d’art et, avec lui, une qualité de « vendabilité » analogue à la qualité « d’employabilité » pour une personne qui aurait pris soin de suivre le dernier stage « new age » en communication ou en gestion du stress ? Peut-être que, pour prendre le contre-pied des objets « sérieux » qui interrogent la condition humaine, était-il judicieux d’en proposer d’apparence plus futile ? Et quoi de plus superficiel que l’oripeau qui entourerait le marbre d’un nu antique ? Quoi de moins nécessaire ? La circonstance.

Après l’art relationnel, l’art circonstanciel serait à la mode – et notre ex-ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, en choisissant Nicolas Bourriaud, qui a été l’inventeur de l’art relationnel à la fin du dernier siècle, pour diriger « les beaux-arts » de Paris, aurait été en retard d’une mode, en tout cas n’aurait pas été, lui-même, dans le « temps opportun » requis par cette nouvelle pratique. Ceci étant, on peut s’interroger sur le choix du terme : pourquoi l’art circonstanciel plutôt que l’art opportuniste, occasionnel, contingent, voire domestique ou touristique ? Pourquoi cette mode, précisément, et pas une autre qui aurait pu produire le même résultat, puisque la seule nécessité est le renouvellement, en tout cas l’illusion du changement, si cela peut être obtenu par la simple substitution d’un qualificatif par un autre, quelconque, arbitrairement choisi dans un geste qui, du coup, répondrait exactement au principe même de la circonstance ? Et puisque d’autres étiquettes auraient pu être à peu près aussi opportunes, il faut certainement que celle-là ait une qualité spéciale pour avoir été choisie… Peut-être une mise en abîme du fonctionnement même de la mode ?

La mode étant un éternel retour – du même –, il est possible que Montaigne ait souterrainement inspiré celle-ci, ou bien que la mondialisation nous ait rendus plus sensibles à d’autres systèmes de pensée, par exemple celui de l’ancienne Chine – l’actuelle étant de plus en plus proche de notre culture occidentale. Mais il ne faut pas s’illusionner sur la possibilité de démêler l’écheveau des raisons qui font une mode. Ce serait, de plus, une tâche peu valorisante si on considère que toute mode a vocation à « passer », et ce, d’autant plus vite que le marché qui l’exige de toute manière est très actif. À quoi bon, alors, s’acharner à l’étude d’une catégorie d’art menacé de disparition, du moins de disqualification, dans le même mouvement qui la fait apparaître ? Si ce n’est, encore une fois, que cette mise en abîme par laquelle la circonstance qui fait la mode se trouve être le sujet même des objets qu’elle propose est peut-être un « dispositif » plus profond, mis en œuvre pour d’autres catégories d’art et, de ce fait, digne d’intérêt pour lui-même. C’est aussi parce que la « circonstance », en tout cas la contingence, perdurera, de même que la nécessité, quelle que soit la forme d’art dominante : aucune mode ni aucune étiquette n’élimineront cette dualité irréductible qui transcende le classique dualisme hylémorphique, de la matière et de la forme, en le déplaçant dans la région de l’incalculable, de l’imperceptible, de l’innommable.

Mais la question ainsi posée à son niveau fondamental – le dualisme du hasard et de la nécessité – ne serait que l’esquisse ou l’hypothèse de nombreuses théories possibles. Toute théorie sur la « circonstance » ne serait alors rien d’autre qu’un soutien, certes commode, mais peu susceptible de constituer une authentique connaissance du phénomène de « l’art circonstanciel ». Comme souvent, en pareil cas, on est ramené à la démarche empirique, à l’étude quasi-naturaliste du phénomène à connaître, et du même coup à l’activité taxinomique qui la caractérise. Il faut s’en remettre à la classification, à cet exercice inévitablement perfectible puisque, pour que des classes soient définies, les termes de la description doivent, en quelque sorte, anticiper l’opération de description de laquelle devraient pourtant dépendre ces termes. La difficulté de toute classification tient à cet entrelacement des activités de description et de catégorisation : comme il est impératif de poser a priori des catégories ou des classes, on est certain qu’il existera toujours des objets qui ne pourront pas être décrits avec les termes qu’elles délimitent.

En suivant cette démarche malgré cette difficulté, il faudrait établir des descripteurs, c’est-à-dire des critères a priori selon lesquels serait distingué, non seulement « l’art circonstanciel » d’autres catégories, mais aussi de pratiques qui ne seraient que « de circonstance ». Mais si l’on admet que la définition institutionnelle de l’art et de ses catégories constitue le seul critère « objectif » pour l’étiquetage d’objets qui n’existent qu’une fois cette sélection effectuée, on voit clairement que ce n’est que de cette position « institutionnelle » qu’il est possible de prononcer des jugements déterminants pour des œuvres non encore advenues. On se rappellera, à cet égard, les échecs répétés des théoriciens de l’art numérique pour en établir les critères à partir de descripteurs esthétiques censément extérieurs à l’institution de l’art, et ce, bien que logeant eux-mêmes dans des organisations aussi puissantes que les universités. L’institution de l’art sélectionne et exclut des œuvres par un jugement déterminant qui a cette propriété remarquable de n’être pas déterminé, autrement dit qui est arbitraire, qui l’est impérativement faute de quoi elle perdrait son pouvoir déterminant. C’est ainsi qu’elle parvient à mettre en exposition des œuvres qui, par cette existence décrétée, établissent explicitement les critères implicites qui en ont structuré la catégorisation. C’est cette « loi » que les esthéticiens « positivistes » ont tenté d’abroger, notamment en se servant des arts « technologiques », sans succès jusqu’à présent.

Il ne serait néanmoins pas inimaginable qu’un simple « usager » de l’art demande quels sont ces critères qui, tout implicites qu’ils soient, n’en inspirent pas moins des classifications dans lesquelles ils seraient susceptibles d’être repérés par un jugement rétrospectif. Il faut bien reconnaître que cela ne se produit pas fréquemment, la critique étant l’un des rouages (embedded) de notre actuel « monde de l’art » et l’esthétique plus souvent occupée de théorie que de description. Or, à chaque fois qu’une nouvelle catégorie d’art vient à être exposée, donc évaluée par ces instances, ce serait pourtant une bonne occasion, peut-être la seule, en mesure d’élaborer une connaissance susceptible d’être « reconnue » comme telle dans le temps même où elle existe. Et c’est ainsi que, dans cette situation, l’arbitraire ne serait jamais illégitime ; pas plus en tout cas que celui de toute institution dont le fonctionnement se trouverait ainsi reproduit. Parce que ce serait un discours autoritaire dont l’autorité ne reposerait pas, en tout cas pas entièrement, sur une base disciplinaire, mais la recevrait de l’extérieur comme un don, ce serait le moyen le plus efficace pour pouvoir territorialiser des objets qui, autrement, ne peuvent être ancrés ni dans des catégories existantes ni encore moins dans les nouvelles catégories découlant de ce quasi-décret. Et pour que le jeu se poursuive, il faudrait qu’un processus de déterritorialisation soit associé au précédent, et surtout que cet équilibre ne soit jamais stable, toujours mouvant et menacé comme la vie elle-même.

En effet, une connaissance qui ne serait pas mise en péril dans son propre mouvement, par ses propres procédures, correspondrait à une croyance – une certitude délivrée en échange d’un consentement à la soumission – qu’il serait possible de connaître quelque chose sans accompagner sa genèse, sans faire soi-même un mouvement analogique ou parallèle au mouvement d’individuation de la chose à connaître, donc sans faire tout simplement mouvement et ainsi modifier en permanence la connaissance que nous en avons en même temps que celle que nous avons des autres choses. Mais sans aller jusqu’au raffinement de la démarche « transductive » de Gilbert Simondon, ni même jusqu’au « renversement anticopernicien » d’Edmund Husserl d’une phénoménologie stricto sensu qui ferait du monde cela même que nous percevons, nous savons depuis Emmanuel Kant qu’il y a des « conditions de possibilité » de la connaissance qui en limitent l’étendue et que le jugement de goût est « sans concept ». Et, parmi ces conditions de possibilité, il est possible d’avancer le principe du verum factum : on ne connaît jamais mieux que ce qu’on a fabriqué ; il n’y a pas de fait qui ne soit un « fait construit ». Ce qui vaut en matière de sciences naturelles, vaut encore plus dans le domaine des sciences humaines où il est pour le moins imprudent de postuler des principes nécessaires, intangibles, métaphysiques, où le sujet, pour connaître, doit avant tout se connaître et, pour ce faire, engager sa pleine puissance jusqu’à la démesure, l’hubris des Grecs anciens.

Compte tenu de ce qui se trouve engagé dans ce propos, à savoir la tension à maintenir entre l’activité de description, équitable en ce qu’elle applique les mêmes critères à des objets divers, et l’activité de classification, arbitraire parce que catégorique et autoritaire, je ne saurais, comme certain « philosophe », théoriser « la guerre sans l’aimer » – une formule que, soit dit en passant, il emprunte à André Malraux – en prenant grand soin d’assurer son confort et sa fortune et tenant pour principe que la piétaille n’a qu’à s’incliner et à sanctifier une intelligence à ce point exceptionnelle et unique. Autrement dit, s’agissant de « l’art circonstanciel » qui est certes un motif moins glorieux, moins essentiel que la guerre pour laquelle notre « flicosophe » montre un goût mal dissimulé par ses dénégations, il faut, en fin de compte, risquer une proposition qui réponde à la position théorique et à l’intention qui l’a guidée ; une proposition et non un exemple car, selon la méthode exposée, il n’est pas question de fonder par l’exemplarité un modèle à partir duquel il serait possible d’induire une esthétique, mais seulement de suggérer une réflexion sur la relation de telle « chose » avec tel « qualificatif ».

Une part importante de l’œuvre de Jacques Lizène a été exposée du 16 octobre au 27 novembre 2011 à la galerie Passage de Retz à Paris, sous le titre « Désastre jubilatoire », qui présentait des travaux réalisés entre 1964 et 2011. Dans l’ouvrage Jacques Lizène (Tome III)Jacques Lizène (Tome III), sous la direction de Jean-Michel Botquin, Crisnée – Liège, Éditions Yellow Now – L’Usine à Stars / galerie Nadja Vilenne, 2009., une première partie intitulée « Le Petit Lizène illustré – Une tentative inachevée d’abécédaire autour de l’œuvre du Petit Maître » propose plusieurs articles qui incitent à effectuer un rapprochement de son travail avec l’actualité de « l’art circonstanciel » : 1) Art syncrétique, 1964 ; 2) Art spécifique ; 3) Art stupide, institut (1971) ; 4) Attitude, Art d’attitude, 1965… Et bien sûr : 5) Matière fécale (Merde, MerDre). En voici quelques extraits :

  1. Lizène dessine dès 1964 de petites choses en les croisant : « Croiser toutes sortes de choses comme des animaux, des visages, des architectures, des arbres, des voitures, des chaises, des sculptures. » Ou encore : « Découper et mélanger deux styles. » Il pratique une forme d’Art syncrétique, un syncrétisme de collage… (Jean-Michel Botquin)

  2. Lizène vide l’art de ses mythologies ; c’est une attitude fondamentale qu’il mène avec facétie (…) Face aux discours les plus austères, aux attitudes conceptuelles et minimales les plus proactives, Lizène prend posture : pour la facilité, l’inintérêt, la banalité, l’inefficacité. (Jean-Michel Botquin)

  3. Jacques Lizène crée un « Institut de l’Art stupide » en 1971 (…) À l’une ou l’autre occasion, Lizène évoquera également son « Institut d’Art idiot ». Il faut, en effet, considérer l’Institut de l’Art stupide comme une idiosyncrasie. (Jean-Michel Botquin)

  4. L’Art d’attitude existe lorsque chez l’artiste, et dans son œuvre, l’attitude envers l’art et la vie prend le pas sur le produit esthétique périmé puisque tout est accepté d’avance, tout est permis, tout est possible (…) L’œuvre dès lors construite n’est qu’une suite de fantaisies inabouties, une façon de passer le temps en attendant la mort. (Jean-Michel Botquin)

  5. Lizène est ainsi fidèle au précepte qu’il définit dans la nuit du 7 au 8 mars de la même année [1977] : « Devenir son propre tube de peinture », et, pour ce faire, contrôler son alimentation afin d’obtenir, je cite, « des coloris variés et délicats ». (Antoni Collot)

Notons déjà que, ainsi que cela a été dit, comme il ne serait d’aucune pertinence d’étudier l’œuvre de Jacques Lizène, et en général l’œuvre d’art, comme un objet autonome et séparé duquel on pourrait déduire – comme on le ferait d’une théorie – les critères d’existence d’autres objets dont il serait, en quelque sorte, la cause formelle, cette proposition s’appuie et s’ancre dans les institutions qui, avec la complicité de l’artiste, en sont productrices : exposition, galerie, critique, édition. C’est là, dans ce creuset, que sont forgés les critères de l’art et ceux qui le spécifient. Or, il n’y a pas un seul terme employé par Jacques Lizène ou son entourage qui, dans les références étudiées, renvoie directement à la « circonstance », mais seulement de vagues ressemblances, quelque chose comme un « air de famille » : le titre de l’exposition qui semble nous engager à accepter et même à jouir de la réalité, si désastreuse qu’elle soit, en particulier en la transformant en art, le « syncrétisme » qui est aussi une forme d’adaptation à « ce qui est », la « spécificité » en tant qu’inscription de ce qu’il y a de plus insignifiant, de moins nécessaire, la « stupidité » qui répond à « l’idiotie du réel », à son incongruité, « l’attente » qui donne valeur à tout ce qui advient d’inattendu, et enfin la merde qui n’est plus la simple éventualité d’un événement mais la contingence dans le sens fort que lui donne Antonin Artaud quand il aspire à « un corps sans organe », ou dans celui que donne Arthur Schopenhauer de « la volonté » comme force et moteur de souffrance.

Il y aurait donc, potentiellement, quelques raisons pour enrôler Jacques Lizène, sinon comme acteur d’une catégorie d’art qui est une mode récente sous le nom « d’art circonstanciel », du moins comme précurseur ou « indicateur » qui en a montré la voie. Peut-être Jacques Lizène refuserait-il cette nouvelle étiquette, bien qu’il en ait accepté d’autres et qu’il en ait proposé lui-même un certain nombre. C’est donc un pari qui suppose un minimum d’audace pour réussir – communiquer avec l’artiste et ses proches – et qui est incontournable si on considère que les « références obligées », Marcel Duchamp ou John Cage en l’occurrence, qui ne manquent certes pas de pertinence, sont trop usées d’avoir été employées dans toutes les situations où elles ne se justifiaient pas moins. Faire exister une catégorie d’art n’est ni une question d’esthétique ni un problème théorique, mais simplement une démarche stratégique, et elle ne peut avoir de succès que si l’on choisit des « figures » susceptibles de l’incarner qui ne sont ni les « grands anciens » ni de « parfaits inconnus ». Il ne faut pas se masquer qu’il y a un peu de cynisme à procéder ainsi car les artistes n’ont pas vocation à « faire école » : une fois reconnus, ils ont intérêt à rester le plus possible « singuliers » et inclassables, condition de laquelle dépend leur succès, par élimination de la concurrence.