UN ART SONORE CONTEXTUEL
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Pour aller plus loin, Michel Risse nous livre quelques pistes de lecture théorique pour comprendre son travail et ses partis prisCet article est reproduit ici avec l'aimable autorisation de la revue Filigrane. Il est paru dans le n°12 : Musique et lieu, sous la direction de Laurence Boukaert et de Jean-Marc Chouvel, publié aux édition Delatour France..

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« Si la génération précédente se passionnait pour savoir comment faire de la musique, celle d’aujourd’hui se demande d’abord et surtout pourquoi et pour quiFrançois-Bernard Mâche, « La création musicale d’aujourd’hui », Cultures, Vol I, n°1, Paris, UNESCO, 1973, p. 107-117 ; repris dans François-Bernard Mâche, Entre l’observatoire et l’atelier, Paris, Kimé, 1998, p. 133 (texte daté du 24 septembre 1972).. »
« […] au lieu de bâtir en ajoutant des notes, on peut dégager la musique à partir du monde sonore qui nous environne. Nous pouvons arriver à extraire notre musique de ce bloc sonore dans lequel nous vivons au lieu de la construire comme une architecture facticeFrançois-Bernard Mâche, « Le plaisir du son (entretien avec Domitille Roy) », Culture et communication n°9, Paris, Ministère de la Culture, juin 1978 ; repris dans François-Bernard Mâche, Entre l’observatoire et l’atelier, op. cit., p. 21. ».
François-Bernard Mâche

Réfléchir et communiquer sur sa propre trajectoire artistique est un exercice toujours paradoxal et inconfortable, surtout dans le domaine musical : les mots transcrivent-ils une expérience, ou la justifient-ils, et même ne l’idéalisent-ils pas ? Cependant, c’est ici l’occasion rare de s’interroger, autrement que par la réception du public ou le retour des interprètes, et aussi de trouver ou retrouver dans la littérature et l’histoire quelques repères qui résonnent avec son travail. C’est le cas des quelques mots de François-Bernard Mâche placés en exergue.

Ainsi j’ai été, tout au long de mon itinéraire, très souvent frappé par une sorte d’inadéquation de l’oeuvre avec le contexte dans lequel elle est donnée. Ce n’était presque jamais le bon moment pour avoir lieu. Durant l’exécution, depuis les premiers concerts auxquels j’ai assisté enfant, tout m’a semblé compter, avoir de la valeur : événements sonores inopinés – une toux fortuite d’un spectateur, le craquement d’une estrade, un archet qui tombe, une ambulance qui passe, une porte qui se ferme –, mais aussi le lieu – le décor de la salle, le trajet pour s’y rendre, les odeurs, la saison… –, tout un contexte qui prenait un sens particulier et participait du sens de ce que j’entendais.

Par exemple, je n’ai jamais pu faire abstraction du son des danseurs. Il était clair, dans toutes les chorégraphies que j’ai pu voir, que ces sons étaient censés ne pas exister, et que nous étions là pour n’écouter que la « musique » du ballet. Or, tous les sons des corps venant du plateau me paraissaient à la fois entrer en conflit avec la « musique », et être bizarrement plus justes ou plus nécessaires que celle-ci, de sorte que je ne savais plus quoi écouter.

Très longtemps j’ai tenté de refouler cette intuition, m’efforçant d’être docile et conforme à cette notion que me dictaient mes parents et mes maîtres : ce qu’on appelle musique, ce qui est beau, c’est ce que jouent les musiciens, les notes, les mélodies, les accords, cet art réputé universel. Une abstraction idéalisée, inaccessible, séparée de la vie, statufiée, une véritable utopie – sans lieu, donc ?

Plus tard l’expérience déterminante du théâtre, et du rôle si particulier que la musique et le son y jouent, m’ont certainement fait soupçonner l’idée d’un art sonore qui retrouverait une fonction, une justesse, sans pour autant être utilitaire ou une simple musique « de circonstance ». Aujourd’hui, à chaque nouvelle production de la compagnie Décor Sonore, je ne peux imaginer le moindre son, la moindre suite de notes, sans me demander , avec quoi, pour quoi et pour qui cela se déroulera.

L’idée de lieu est donc pour moi essentielle, et s’étend à celle de contexte tant il me semble que celle-ci englobe toutes les dimensions de la notion de lieu : depuis l’espace physique ou métaphorique, précis ou général (= « endroit », « lieu public »…) à l’idée de temps (= « avoir lieu », « le lieu de faire »…), en passant par tout autre sens figuré ou dérivé (= « lieu commun », « en haut lieu »…) et ses résonances avec la vie en société.

La question ne devrait pas être de déterminer s’il peut y avoir une musique véritablement contextuelle, et si oui, laquelle en est et laquelle n’en est pas, mais plutôt si cette notion peut inspirer la musique d’une manière générale, et la conduire à retrouver une fonction, une audience, une pertinence dans la confusion globale et grandissante autour de l’art musical aujourd’hui.

LE DÉCOR SONORE

Mes premières pièces électroacoustiques étaient des « décors sonores ». Diffusées en boucle, ces pièces réalisées avec des magnétophones disparates et quelques objets à portée de main – dont des instruments de musique –, n’étaient pas destinées au concert, mais à accompagner l’oreille des visiteurs d’une exposition, sans pourtant être l’illustration de celle-ci. Le nom choisi pour désigner la forme, décor sonoreC’est le photographe et « commissaire » Alain Willaume qui avait inscrit ce terme pour la première fois sur l’affiche de l’exposition Le repos du guerrier à Strasbourg en 1972., indique à quel point je doutais moi-même que ce fût de la musique ; ou alors de la musique « d’ameublement » comme la préconisait SatieLe 8 mars 1920, à la galerie Barbazanges, avec la complicité de Darius Milhaud, Erik Satie créa ses premières pièces de musique d’ameublement, une « musique à ne pas écouter » (au cours des deux entractes de Ruffian toujours, Truand jamais, une pièce de Max Jacob). Milhaud explique que malgré une note (de Pierre Bertin, l’animateur du lieu) dans le programme prévenant « le public qu’il ne devait pas attacher plus d’importance aux ritournelles qui seraient jouées pendant l’entracte, qu’au lustre ou aux chaises de la galerie », celui-ci écouta attentivement et se comporta comme au concert, à la grande déconvenue de Satie. Darius Milhaud, « Musique d’ameublement et pour catalogue » (Darius Milhaud, Notes sans musique, Paris, Julliard, 1949, chapitre XVI, p. 127-129 ; édition revue, Paris, Julliard, 1963 ; repris dans Darius Milhaud, Ma vie heureuse, Paris, Belfond, 1973 (1974, 1987) ; Paris, Auguste Zurfluh, 1998. (Grand merci à Jean-Marc Warschawzski de m’avoir aidé à retrouver ces références, et quelques autres.), c’est-à-dire pour une écoute non narrative, désacralisée, une proposition pour habiter le silence ?

C’est justement en m’apercevant que, de silence, il n’y avait pas, et que de nombreux sons venaient se mêler inopinément aux pièces dans les lieux où je les diffusais, que j’ai commencé à m’intéresser à ce qui était déjà là, qui n’était pas forcément moins pertinent que ce que je proposais, et qui allait devenir partenaire, source d’inspiration, matériau, et même éventuellement forme structurante. J’ai donc travaillé de plus en plus à partir de sons que j’enregistrais sur place, que je traitais et que j’intégrais à la pièce.

Or, cette musique pour haut-parleurs, musique de « sons fixés », était sourde à son environnement, puisqu’elle était enregistrée. Et malgré les variations, les perspectives changeantes, la vie que les événements sonores extérieurs pouvaient lui apporter (grâce à eux par exemple, chaque nouvelle boucle pouvait ne pas être perçue comme les précédentes), il y avait la frustration de ne pouvoir agir en temps réel, parfaire ce dialogue entre environnement impondérable et musique prévue ; pouvoir travailler avec le déjà là, mais aussi avec l’ici et maintenant. La musique improvisée, ou, justement, « interactiveTerme employé, notamment en Allemagne dans les années 1980, pour désigner une certaine musique expérimentale et improvisée collectivement (peut se rapprocher de la notion d’« improvisation générative » telle qu’elle est enseignée au CNSMDP, par exemple). La notion d’interactivité s’applique ici essentiellement aux improvisateurs entre eux. » (je ne parle pas ici de paraphrase ou d’ornementation, comme à l’orgue classique ou dans le jazz) que je pratiquais abondamment et qui aurait semblé adaptée à un dialogue instantané avec l’environnement, me laissait toujours un sentiment d’inabouti, de non maîtrise, un goût de toujours presque, que l’exécution d’une pièce minutieusement préparée – sinon consacrée – parvient à éviter. Sans doute parce que la musique entièrement improvisée s’inspire en fait – et peut-être plus encore que la musique écrite – essentiellement d’elle-même (doit-on chercher ailleurs pourquoi elle semble aujourd’hui ne concerner que les musiciens ?). Il fallait donc chercher d’autres modalités pour composer avec le contexte.

De là l’attirance pour des formes qui permettraient, sinon de tout maîtriser, du moins d’éviter la sensation de chaos, tout en laissant émerger la pièce en direction de la pertinence de l’instant présent : ne pas renoncer à l’esthésique, mais pour cela ne jamais perdre le poïétique, en écoutant non pas ce qui a été choisi de faire entendre, mais ce qui se passe réellement.

L’ESPACE LIBRE

Le lieu de la musique, c’est aussi l’espace de travail du compositeur, son terrain de jeu, là où il existe et où son activité prend un sens. Il m’a semblé que l’espace public était la dernière possibilité qui s’offrait pour échapper à la fois aux académismes et aux lois de l’industrie ; espace que nous appelions d’ailleurs « espace libreDe préférence à « Art in situ », ou « Art de la rue », « Art public » « Site specific art », etc. La notion d’espace « libre » contient pour moi autant la notion de l’allemand « unter freie Himmel » (plein air) que celle de l’anglais « free » (gratuit). Nous avions, en 1999, avec Pierre Sauvageot et quelques autres musiciens, publié un « Manifeste pour un art sonore en espace libre », toujours lisible le 1er mai 2010 sur ce lien. » : libre parce que vacant, en friche, en déshérence, ou détourné de ses usages premiers.

Nous ne devrions pas laisser l’espace public être la seule expression de l’industrie, de la marchandise, de la fonctionnalité pure. Nous devons au moins essayer de nous y glisser, tant pour occuper ce territoire et en faire un espace libre que pour y trouver de nouvelles manières et de nouvelles matières pour « jouer juste ». Sans quoi le compositeur, qui n’a déjà plus beaucoup sa place dans la cité, n’aura bientôt plus de sens du tout. Si l’audience de musiques créatives semble se rétrécir, n’est-ce pas que les compositeurs se renferment et ne s’aventurent pas hors de leur territoire ? Le compositeur ne devrait-il pas (s’)occuper des espaces publics, reconquérir ce qui a été abandonné aux soins de l’industrie, ou de la politique ? N’est-ce pas là justement où le musicien est malheureusement absent de la politique ?

Ces réflexions me remettent en mémoire cette intuition de Claude Debussy :

« J’entrevois la possibilité d’une musique construite spécialement pour le “plein air”,
toute en grandes lignes, en hardiesses vocales et instrumentales qui joueraient et planeraient sur la cime des arbres dans la lumière de l’air libre. Telle succession harmonique paraissant anormale dans le renfermé d’une salle de concert y prendrait certainement sa juste valeur ; peut-être trouverait-t-on le moyen de se libérer des petites manies de forme, de tonalités arbitrairement précises qui encombrent si maladroitement la musique ? […] Il y aurait là une collaboration mystérieuse de l’air, du mouvement des feuilles et du parfum avec la musique […]. Je puis me tromper, mais il me semble qu’il y a, dans cette idée, du rêve pour les générations futures. Pour nous autres, pauvres contemporains, j’ai bien peur que la musique continue à sentir un peu le renferméClaude Debussy, Monsieur croche et autres écrits, Gallimard 1971, p. 46-47.. »

On peut penser, comme Makis SolomosMakis Solomos, « L’espace-son », in Jean-Marc Chouvel & Makis Solomos (éds.), L’espace : Musique/Philosophie, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 211., que cet espace de « plein air » vaut seulement « essentiellement comme métaphore ». J’y trouve, de mon côté, plusieurs notions très concrètes, inédites en 1901 et de plus en plus actuelles : Debussy y oppose « l’air libre » au « renfermé » (de la salle de concert), et surtout entrevoit une « collaboration » avec la musique. Presque une sorte d’écologieLe terme est si galvaudé qu’il ne semble pas inutile de le redéfinir : « […] la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence » (Haeckel, 1866), puis, par extension, « l’étude des relations réciproques entre l’homme et son environnement moral, social, économique. Les communautés et sociétés humaines vivent dans un environnement auquel elles s’adaptent et qui réagit sur elles » (Golfin, 1972)., dans laquelle l’homme ne déciderait pas de tout, mais collaborerait avec la nature ; une nature qui ne serait plus seulement un sujet ou une source d’inspiration (comme chez les romantiques) mais un contexte bien concret et catalyseur de musique, un partenaire, un coauteur de la pièce. Le compositeur ne serait plus alors le démiurge, la figure unique par qui tout arrive, il accepterait de ne plus tout contrôler, et cette collaboration avec un contexte lui ferait gagner une liberté nouvelle, il s’échapperait enfin des académismes, des « petites manies de formes » et « tonalités arbitrairement précises ».

Debussy apparaît ici comme le compositeur qui s’est ingénié à estomper, à « flouter » tous les ingrédients musicaux qu’il maîtrisait, à les rendre volontairement moins « précis ». Il ne compose pas pour donner à entendre des motifs reconnaissables, des mélodies, des phrases identifiables, il est à la quête de l’essence même de la musique : le son imaginé. Et pour s’échapper des « petites manies » qui « encombrent si maladroitement la musique », pour que la musique « ne sente plus le renfermé », bref pour que la musique ne soit pas que des notes, il a cette intuition : sortir de la salle de concert. Debussy voudrait explicitement travailler avec un contexte qui participe à son oeuvre, qui libère des conventions d’écriture et au contraire suscite et justifie des « hardiesses », des « anormalités » (« Telle succession harmonique paraissant anormale dans le renfermé d’une salle de concert y prendrait certainement sa juste valeurOn retrouve une pensée convergente dans le même Monsieur croche (ibid, p. 229) : « […] Musique qui sent la table et la pantoufle. Ceci pris dans un sens spécial aux mécaniciens qui, essayant une machine mal montée en disent : “Ça sent l’huile”. Méfions nous de l’écriture. […] Il y a eu, il y a même encore, malgré les désordres qu’apporte la civilisation, de charmants petits peuples qui apprirent la musique aussi simplement qu’on apprend à respirer. Leur conservatoire c’est : le rythme éternel de la mer, le vent dans les feuilles, et mille bruits qu’ils écoutèrent avec soin, sans jamais regarder dans d’arbitraires traités. […] Et si l’on écoute, sans parti pris européen, le charme de leur “percussion”, on est bien obligé de constater que le nôtre n’est qu’un bruit barbare de cirque forain ». »).

Faut-il y voir, là encore, quelque souvenir de conversations entre Debussy et Satie« Un soir, Debussy et Satie se trouvent à la même table. Ils se plaisent. Satie demande à Debussy ce qu’il prépare. […] Ici, déclare Cocteau, je vais citer une phrase de Satie qui m’a été dite par Debussy et qui décida l’esthétique de Pelléas : “Il faudrait que l’orchestre ne grimace pas quand un personnage entre en scène. Est-ce que les arbres du décor grimacent ? Il faudrait faire un décor musical, créer un climat musical où les personnages bougent et causent”. » (Paul Landormy, La musique française après Debussy, Paris, NRF Gallimard, 1943, p. 54-61). et sa Musique d’ameublement, cette esquive inventive et pathétique pour fuir la doxa ?? Là où Satie fait preuve d’une créativité qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de « conceptuelle » (la musique ne se veut pas intéressante par elle-même, mais par son contexte d’exécution et une posture de « non écoute »), Debussy cherche intuitivement à se rapprocher du son en se dégageant de l’écriture, et n’affiche pas, lui, un renoncement à l’idée de transcendance en musique, bien au contraire.

Certes, Debussy parle d’arbres, de feuilles et de lumière, mais cet « air libre » n’est pas nécessairement la nature, et ce contexte pourrait tout aussi bien être urbain. Ce qui compte est avant tout de sortir de la salle de concert, et n’est pas tant ce qu’on rencontre que d’aller à la rencontre du fait sonore, d’autre chose de plus vivant et pertinent que des procédés d’écriture, des académismes musicaux.

LA VILLE INSTRUMENT

Je suis donc allé « jouer dans la rue », parce qu’il m’a semblé qu’il y restait un peu de place, un espace libre, et beaucoup à faire. La ruePour une vision actualisée et bien documentée de ce qu’on appelle en France « arts de la rue », on pourra se référer aux récents ouvrages de Floriane Gaber, Comment ça commença, les arts de la rue dans le contexte des années 70 (retraçant la genèse et l’essor de ce courant), et 40 ans d’arts de la rue (vision panoramique et plus subjective), Paris, Éditions Ici et là, 2009. Voir aussi : Serge Chaumier, Arts de la rue, la faute à Rousseau, Paris, l’Harmattan, 2007. n’est pas seulement un lieu physique et social, c’est un lieu dont l’esthétique sonore est laissée en friche, abandonnée, et singulièrement par les musiciens. On n’y rencontrera guère que des architectes, des urbanistes, des sociologues, des politologues ou des philosophes, et plus clandestinement un plasticien, un grapheur ou un danseurParmi les jeunes artistes français les plus contextuels et les plus remarquables dans l’espace public, on notera deux compagnies différentes portant le même nom significatif : Ici-même (Paris) et Ici-même (Grenoble), dont les bouleversants « concerts de ville » s’opèrent simplement en guidant des spectateurs les yeux fermés ; un projet presque choquant de simplicité et de justesse, sans mise en scène apparente, comme si les auteurs faisaient totalement confiance à l’auditeur et à la ville…. Et, toujours, de l’audience.

Si la rue n’est pas une salle de concert, ce n’est certes pas un non-lieuJe suis toujours interloqué d’entendre parler de « non-lieu » de musique dès lors qu’il ne s’agit pas de salle de concert – tout comme de « non-public » lorsqu’il ne s’agit pas d’un public d’abonnés (on s’intéressera à cet égard aux débats « Lieux de musique/non lieux », animés par Denis Laborde et Laurent Feneyrou, dans le cadre du colloque « Lieux de musique (IV) : Non Lieux », organisé par le CNRS et L’EHESS, dans le cadre du Festival d’automne de Paris, le 9 octobre 2009 au Studio de l’Opéra national de Paris/Bastille)., une utopie, mais précisément une de ces possibles hétérotopies comme les aimait Michel Foucault. Le paysage sonore urbain est une sorte de terrain vague, que le jeu de l’art peut faire devenir palais, océan, jardin. Il faut savoir y abandonner toute une ribambelle de repères esthétiques : les notions de beauté formelle, de chef-d’oeuvre, d’expression de l’artiste et même, pourquoi pas, d’auteur, y sont profondément ébranlées. Mais je crois que les notions de beau, d’esthétique, de transcendance et tout simplement d’art n’en sont aucunement évacuées, tout au contraire. Et, comme dans tout jardin en friche, d’autres espèces, moins convenues, plus vivaces, plus rares ou simplement oubliées, peuvent y éclore.

La musique qui sonne juste dans l’espace public m’apparaît bien concrète, dans le sens Shaefferien, c’est-à-dire qu’elle tire sa substance des objets sonores, de la chair même de la musique : le son. C’est la matière sonore qui est à la base de la structure du discours, et la structure qui doit être au service de cette matière (et non l’inverse, une construction abstraite qui se sert du son pour se concrétiser). Musique parfaitement concrète donc, mais absolument non acousmatique, puisqu’elle perd la plus grande partie de son sens lorsqu’elle est privée, non seulement de l’image de son origine, mais de l’ensemble de son contexte. L’objet musical est alors un objet réel, qu’on montre, qu’on met en scène, et qui acquiert un statut de personnage théâtral. Là où une musique acousmatique se veut oeuvre décontextualisée, pure, définitive (malgré ses interprétations en concert, puisque enregistrée) et en quelque sorte élaborée in vitro, je ne peux faire apparaître une musique contextuelle qu’impure, provisoire, in vivo et in situ.

Paradoxalement, ce n’est plus l’absence d’image (la tenture de Pythagore nécessaire à Schaeffer pour révéler le sens en cachant l’apparence) qui sacralise l’objet sonore et produit le mystère musical ; c’est au contraire la théâtralité de l’objet et du geste qui suscite l’écouteJe n’oublie pas que quelques dizaines d’années de musiques concrètes, acousmatiques, électroniques etc., auront probablement été nécessaires pour parvenir à cette nouvelle écoute de l’objet…. Si je manipule un cyclomoteur en tant qu’instrument de musique, il me semble que cette image et cet acte ont la vertu de susciter l’écoute, et ont une dimension poétique plus forte et évidente qu’en se cachant derrière un rideau. À condition bien sûr que le contexte dans lequel je joue, la théâtralité de cette situation, participent – collaborent aurait dit Debussy – au sens de mon geste et aux réceptions des spectateurs ; à condition de jouer juste, en accord avec le contexte.

JOUER JUSTE, JOUER FAUX

La justesse n’est pas une science exacte, elle n’est même pas chose mesurable ; qu’il s’agisse de celle du violoniste à l’orchestre ou de celle de l’acteur en scène, elle est toujours contextuelle.

Le 8 avril 2007, le Washington Post relatait dans ses colonnes une de ces opérations médiatiques dont le monde culturel est friand : un célèbre virtuose, Joshua Bell, interprète une pièce d’anthologie (la chaconne de la Partita n°2 en Ré mineur, BWV 1004) d’un compositeur indiscutable (Johann-Sébastian Bach), sur un instrument mythique (le Stradivarius Gibson, ex-Huberman, de 1713). Tous les signes du chef-d’oeuvre superlatif, de l’excellence et de la légitimité artistiques, de la notoriété et de la valeur (y compris marchande : vertigineuses données quantifiables en dollars abondamment fournies par l’article, telles que le prix du violon, les cachets habituels de l’artiste, le taux de remplissage de ses concerts, etc.) sont rassemblés pour attester que nous avons affaire à la beauté irréfutable et consacrée. Sauf que le « concert » se déroule dans le hall d’une station de métro, à 7 heures 51 du matin, comme s’il s’agissait d’un quelconque musicien qui fait la manche.

L’article mérite d’être lu intégralementGene Weingarten, « Pearls Before Breakfast : can one of the nation’s great musicians cut through the fog of a D.C. rush hour? Let’s find out », Washington Post, 8 avril 2007. L’article est consultable en ligne, accompagné d’une vidéo (consulté le 1er mai 2010)., tant il représente bien, en filigrane, tout une idéologie, tout un paradigme. Je n’en traduis que cet extrait :

« Son récital était organisé par le Washington Post en tant qu’expérimentation sur le contexte, la perception et les priorités – ainsi que comme évaluation implacable du goût du public : dans un décor banal et à un moment intempestif, la beauté peut-elle encore être transcendante« […] His performance was arranged by The Washington Post as an experiment in context, perception and priorities – as well as an unblinking assessment of public taste: In a banal setting at an inconvenient time, would beauty transcend? […] », Ibid. ? »

Je n’aurai ici ni la place ni l’indéniable talent de Gene Weingarten, qui rend compte de l’expérience sur seize colonnes ; pendant 43 minutes de chef-d’oeuvre absolu, à peu près personne n’a prêté attention à l’un des plus grands violonistes du monde, qui a récolté exactement 32,17 $.

L’article est intitulé Pearls before breakfast – ce qui peut se traduire littéralement par « des perles avant le petit-déjeuner », mais résonne évidemment comme « de la confiture aux cochons« De la confiture aux cochons » = pearls before swine. ». Le public y est, effectivement, « implacablement » évalué : il est tout simplement jugé insensible à la beauté – surtout s’il n’est pas prévenu que c’est beau.

Or, je ne pense pas que ce soit le public qui soit ici stupide ou ignare. Je pense que c’est l’idée de chef-d’oeuvre absolu qui est une stupidité, et que ce grand virtuose, certainement une splendide machine à jouer BachLe programme, outre la chaconne, comportait également une gavotte de Bach, l’Ave Maria de Schubert, Estrellita de Manuel Ponce, du Massenet, etc. On notera que l’oeuvre de Bach, aujourd’hui paradoxalement l’une des plus transposées, était à l’origine éminemment contextuelle, étroitement liée à une fonction, à un lieu, à un instrument., a typiquement joué très faux dans ce hall de métro. A-t-il écouté le pas des passants ? Le cliquetis des distributeurs de billets de loterie, celui des portillons ? Le rythme des escalators ? Les voix humaines, le tintement de la monnaie chez le marchand de journaux ? Pourquoi voudrait-il qu’on l’écoute, s’il n’écoute rien ni personne d’autre que ce qu’il joue ? Comment peut-on jouer juste hors de la salle de concert, sans écouter, pas seulement ce qu’on est soi-même en train de jouer, mais tout ce qui se joue autour de soiDe fait, en regardant les vidéos de ces événements, on est surpris d’entendre que le virtuose semble jouer « académiquement » pas très juste… Il faut objectivement admettre que les conditions acoustiques pour interpréter Bach sont discutables ; l’instrument est suffisamment puissant malgré le seuil d’audibilité plutôt élevé (le « plancher », niveau de bruit moyen en deçà duquel il disparaît sous les sons ambiants, semble ici de l’ordre de 80 dBA), mais les repères et automatismes qu’un instrumentiste a mis quelques dizaines d’années à forger dans des chambres et des auditoriums sont ici très perturbés. ?

En musique, jouer ou chanter juste, c’est communément être parfaitement « placé » dans l’espace des hauteursOn parle de « voix placée », comme dans l’Anglais well placed (préféré à in tune). Au théâtre, on dit d’un acteur qu’il est « au bon endroit ».. Dans l’espace temporel, rythmique, on parle de « mise en place ». Ne peut-on étendre cette notion à tous les espaces, métaphoriques et physiques ? À tout le « lieu », tout le contexte ?

LE LIEU DIAPASON

Un jour, au cours d’une séance d’enregistrement avec un musicien d’Afrique de l’Ouest, je lui demande comment s’accorde la sanza en général. Très étonné de ma question, il tente de m’expliquer : « l’instrument parle la langue de son village ; dans le village à côté, ce n’est pas le même accord ».

La majeure partie de l’histoire de la musique du monde ne connaît pas les douze demi-tons tempérés ni le diapason, et la notion de justesse peut exister sous bien des formes. La standardisation de notre diapason ne débute qu’à la fin du xixe siècle – et n’est d’ailleurs toujours pas mondiale. Jusqu’à la Renaissance, l’instrumentiste sait jouer mais aussi très souvent construire son instrument ; et lorsqu’un musicien soliste du moyen âge s’accorde, ce n’est pas sur un diapason, c’est avec lui-même, la température, l’air, le lieu. La musique qui en naissait était dépendante et partie intégrante de l’ambiance. Nous sommes très loin du monde musical d’aujourd’hui, celui des tempéraments égaux, des diapasons internationaux et des accordeurs électroniques, des instruments MIDI et des SoundfontsÉquivalents sonores des « fontes » de caractères en imprimerie, les Soundfonts visent à proposer un choix de « caractères » de timbres audionumériques d’instruments (plus diversifiés que les instruments GM – General MIDI) pour exécuter des compositions codées en MIDI – une évidente et multiple réduction de l’art musical [On notera que, curieusement, le mot « compositeur » (à l’origine, « médiateur », « conciliateur ») est d’abord employé en imprimerie, désignant celui qui met en ordre les éléments typographiques en plomb fondu, les « fontes »]..

On peut imaginer que le musicien avait avec le lieu un rapport bien plus intime et direct, que le lieu influençait la musique de manière plus organique, plus sensible, plus physique. L’examen, mieux encore l’écoute des cavernes préhistoriques nous montre comment, il y a 30000 ans, nos lointains ancêtres repéraient et marquaient les phénomènes acoustiques remarquables à l’intérieur des grottes, et jouaient sur des ensembles de phonolithes naturels constituant des échelles de timbres et de hauteurs24. On peut parler de rituels ou de jeux, ce sont bien des instruments de musique25 et il y a, tout comme dans ces peintures pariétales qui nous frappent par leur mystère et leur beauté, un soin évident consacré à ce qu’il faut bien appeler de l’esthétique, et qui ne peuvent se produire que par, pour, et où elles sont.

La décontextualisation progressive de la musique dans l’histoire semble s’opérer comme celle de l’image, qui s’est peu à peu détachée de son lieu de création (caverne, lieu de cérémonie, palais…) pour enfin « s’encadrer » en tableau. L’oeuvre devient mobile, se diffuse, acquiert une valeur pour elle-même et une valeur marchande, elle se sépare des fonctions auxquelles elle était étroitement liée en premier lieu. Là encore, « lieu » doit être entendu comme « contexte » : le « lieu » de la musique militaire par exemple, n’est pas un espace physique fixe, c’est tout le contexte de l’art militaire et de sa musique (dont les fonctions – de communication (« sonneries d’ordonnance »), stimulation et protection des troupes sous un même emblème sonore, fragilisation psychologique de l’ennemi – sont bien établies).

Art de cour puis de salon, la « grande » musique, en se démocratisant, a perdu l’habitude d’être dérangée par le public ; aussi ne doit-on pas s’étonner que le public n’aime plus guère être dérangé par elle, ni même se déranger pour elle.

TEXTE ET CONTEXTE

« La notion d’oeuvre d’art est intentionnelle et fonctionnelle.
Elle est aussi éminemment contextuelle et circonstancielle26. »

Dans l’écriture d’une pièce contextuelle, les « aides à la décision » nécessaires à tout compositeur ne sont plus de nature formelle et abstraite (convoquant par exemple des rapports mathématiques, géométriques, etc.), elles s’appuient sur des sciences plus « humaines », telles que la légende ou l’histoire d’un lieu, son archéologie, sa sociologie, etc. et, très concrètement, sur ce qui existe déjà sur le site.

Un exemple est donné par la création d’un Instrument|Monument, à l’Opéra du Caire27 (ville réputée – à juste titre – la plus bruyante du monde) : c’est le bourdon permanent donné par le gigantesque climatiseur du Musée des Arts égyptiens, situé à quelques centaines de mètres de l’Opéra, qui donnait la tonalité du prologue, chanté par la soprano Dalia Farouk. Celle-ci avait pour consigne, non pas d’improviser sur cette note pédale (comme si elle était accompagnée par un climatiseur), mais au contraire de mettre d’abord ce son en valeur, de le porter à l’écoute, en se glissant en lui, en le « détourant » (comme on fait en photo) d’abord par d’infimes variations de hauteur provoquant des battements à différentes vitesses, variations s’amplifiant jusqu’à atteindre presque la mélodie (en l’occurrence, calquée sur les mélismes du chant de « la grande prêtresse » d’Aïda28). Son parcours physique, allant du Musée au parvis de l’Opéra, était jalonné de repères topographiques agissant comme autant de repères textuels dans le déroulement de sa partition.

L’écriture d’un Instrument|Monument s’élabore sur site, après de nombreux repérages et au cours de plusieurs jours de travail personnel et collectif. Le hasard y a peu de place en vérité, car tout me paraît dicté par la topographie (agissant comme scénographie), les matériaux et formes (instruments) déjà . Une documentation moins visible (historique, sociologique, politique…) me guide dans des choix compositionnels. Dans le travail de l’artiste de rue, le repérage et la rencontre revêtent une importance considérable. Où sera le public ? Sera-t-il debout, stationnaire, ou bien déambulera-t-il librement, ou encore selon un parcours ? Comment est orientée la place ? À la date de la représentation, où se couche le soleil, à quelle heure ? Les arbres seront-ils secs comme aujourd’hui, ou bien feuillus, masquant certains éléments de l’architecture, des scènes potentielles de personnages ou les personnages eux-mêmes ? Telle affiche publicitaire sera-t- elle encore présente ? Qui habite ici ? Et, bien sûr, quelle est l’acoustique, l’ambiance, le paysage sonore ? Autant de questions qui peuvent paraître triviales ou techniques, mais qui au contraire s’avèrent fondamentales et fécondes dès que l’on quitte la boîte noire du théâtre, et font partie de cette « collaboration » entre art et contexte.

Le « texte » c’est, à l’origine, le « tissu, la trame », « l’enlacement », avant d’être « l’enchaînement d’un récit » (puis de se spécialiser pour désigner Le texte, libellé authentique de la parole divine dans l’Évangile), et enfin toute construction littéraire. « Textuellement », c’est « à la lettre29 ». Si l’on remonte à l’idée originelle et qu’on l’étend à tout ce qui, justement, nous tisse avec notre environnement, nous entrelace et nous enlace avec nos semblables, nos ancêtres et notre descendance, l’oeuvre d’art s’enchaîne à cette trame dans la mesure où elle se fabrique délibérément comme contexte, entrelacée à la vie, et dans le contexte du tissu (social, urbain). Après tout, l’art contextuel est peut-être plus une inscription qu’une écriture.

Le texte musical, quelle que soit la rigueur ou l’élégance formelle de sa rhétorique, est toujours contestable ; le contexte, lui, est irréfutable.

Ce qui est singulier dans l’art, c’est qu’il se mêle de la vie alors qu’il n’est pas la vie. C’est une invention, un micro-univers rêvé, idéalisé par le cerveau humain. Chaque oeuvre d’art est peut-être l’un des noeuds d’un immense tissu, et qui permet à ce tissu de ne pas se disloquer et de continuer à se tisser.

Près de 40 ans après mes premiers décors sonores, je ne sais toujours pas si cet art sonore contextuel est bien de la musique. Peut-être est-ce la délocalisation générale de l’humanité, l’instantanéité de ses communications, la reproductibilité et la médiatisation obligatoires de toutes ses productions, qui m’ont conduit à tenter de retrouver la valeur littéralement inestimable du lieu vécu sur lequel on ne peut jamais revenir, de la conscience de l’instant qui s’enfuit irrémédiablement, de la vie et de la réalité, le temps du partage d’un contexte sensible, entre un artiste et un spectateur.

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