MUSIQUE INDUSTRIELLE ET ESTHÉTISATION DE L’HORREUR
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LES TACTIQUES DE CHOC DU GROUPE SPK

L’Angleterre des années 1970 assiste à la naissance de groupes de musique industrielle qui participent à l’émergence d’une contre-culture opérant comme une plateforme d’échange entre les arts. Ce phénomène, qui se comprend notamment dans le contexte du dialogue qu’il entretient avec l’héritage de la modernité, révèle une scène artistique polymorphe. Le bruit est investi par les artistes industriels à travers des enjeux visuels et sonores singuliers. Les tactiques de choc employées par la formation australienne SPK révèlent un détournement du domaine de la psychiatrie. Il s’agit notamment de montrer comment ce groupe « fait subir à l’image ce que le bruit fait subir au son ».

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Introduction

L'Angleterre des années 1970 assiste à la naissance de groupes de musique industrielle qui participent à l’émergence d’une contre-culture opérant comme une plateforme d’échange entre les arts. Celle-ci engage une réflexion aboutie et élaborée entre le graphisme, la musique, la performance et la vidéo dans un cadre expérimental et sous l’emprise croissante des technologies. Ce phénomène, qui se comprend notamment dans le contexte du dialogue qu’il entretient avec l’héritage de la modernité, révèle une culture visuelle foisonnante qui investit des pratiques artistiques singulières : il s'agit ici du copy art et du mail art impliquant la conception d'affiches, de fanzines, de pochettes de disque et de tracts.
 

Fig. 1. SPK. Brick Works. 1982.


Certains acteurs de cette scène industrielle prennent conscience de l’importance du rôle des médias et de la nouvelle forme de pouvoir qui les accompagne dans la capacité à manipuler les masses. C'est le cas des membres du groupe australien SPK (fig. 1), qui participent à ce phénomène en s'appropriant dès 1978 les sons de l'industrie lourde, afin de mettre en avant les aspects les plus conflictuels de la société postindustrielle des années 1970 et 1980. L'emploi offensif du bruit dans le domaine du spectacle est ici amplifié par une esthétisation du domaine psychiatrique, en sélectionnant les images les plus saisissantes présentées sous la forme de collages photocopiés et de vidéos élaborées par le groupe. Ces stratégies de recyclage révèlent de nouvelles perspectives artistiques visant à malmener le public par des effets visuels et sonores : il s'agit ici des tactiques de choc propres au genre industriel. L’intention étant de réveiller les esprits en proie au contrôle mental appliqué quotidiennement par les médias de masse qui, selon les membres de SPK, neutralisent l’individualité par la mise en place de normes.

Cet emploi répulsif de l'image se retrouve dans le phénomène de rejet qu'une certaine utilisation du bruit peut parfois provoquer. Les recherches du groupe australien s'appréhendent dès lors via le terme de « parasite » qui est, selon Vincent Ciciliato, porteur de bruit. Dans l'ouvrage collectif Parasite(s), une stratégie de création, il évoque ce phénomène : « Le parasite, comme le bruit, est le convive non désiré, gênant, car il induit le chaos dans tout système organisé. Dans le monde sonore, il sera le non musical, l'aberration dissonante. [...] Le visuel, quant à lui, fera du bruit l'élément opaque : poussière, déchirure, souillure de la trace indexée. » (Ciciliato, 2010, p. 59-60)

Comme le souligne à juste titre Michel Serres (1982, p. 32), « il n'y a pas de système sans parasite ». SPK entend présenter une application polymorphe du parasite qu'il convient ici d'étudier pour ses enjeux visuels et sonores. L'emploi de stratégies antipsychiatriques par la surenchère d'une violence radicale indique un usage multiple du bruit déclinant les formes du parasite dans des aspects successivement conceptuels, visuels et comportementaux. Il s'agit dès lors de révéler, à travers l'étude des recherches plastiques de SPK, la façon dont le groupe « fait subir à l'image ce que le bruit peut faire subir au sonSelon la formule de GX Jupitter-Larsen décrivant son œuvre littéraire dans l’ouvrage Saccages. Textes : 1978-2009, Paris : Éditions Van Dieren : « Comment faire subir à la littérature ce que la noise a fait subir au son ». ».

Il est nécessaire d’évoquer dans un premier temps les concepts de la formation australienne autour du prisme de la psychiatrie avant d'étudier les parasites visuels élaborés par SPK à travers les exemples du livret Dokument One et de la vidéo Despair. Il s'agira enfin d'analyser les attitudes guerrières adoptées par le groupe lors de leurs performances scéniques, où le bruit visuel et sonore devient l’outil d'un « divertissement douloureux », pour reprendre l’idée du sous-titre de l’album Greatest Hits du groupe Throbbing Gristle : Entertainment Through Pain.

 

Désinformation et perspectives antipsychiatriques

Dès sa formation, SPK met en place un système de références extrêmement pointues afin d'élaborer des manifestes où le contrôle mental, la psychiatrie et les mécanismes de la société postindustrielle sont au cœur du propos de la formation, comme peut en témoigner la publication de l'Industrial Culture Handbook (Juno & Vale) en 1983. L'artiste Graeme Revell, chef de file du groupe australien, découvre en 1979 les travaux de Baudrillard, Deleuze, Foucault et Lyotard, suite à un séjour d'un an à Paris. Les références présentées au sein de l’article « The Post-Industrial Strategy », publié dans le manuel de la culture industrielle, révèlent l’influence de ces auteurs pour l’artiste, alors infirmier de secteur psychiatrique dans un hôpital public de Sydney au début de sa carrière.
 

Fig. 2. William Burroughs avec le groupe SPK. 1982.


Graeme Revell ouvre également un dialogue avec certaines figures emblématiques de la contre-culture américaine dont il intègre les apports dans ses recherches. C'est le cas de l'écrivain William Burroughs qui, à la suite d'une performance donnée par SPK à San Francisco en 1982, considère la formation comme son groupe musical favori (fig. 2). La Révolution Electronique (Burroughs, 1971) de l'auteur américain est un repère pour ces artistes industriels fascinés par le phénomène de la désinformation, stratégie adoptée rapidement par SPK. Eric Duboys évoque ce phénomène dans son ouvrage Industrial Musics - Volume 1 : « Les quelques entretiens accordés par SPK à la presse musicale de l’époque contiennent bien souvent des informations contradictoires entre elles, tant au niveau des dates que de la composition exacte du groupe, cette tactique (volontaire) de désinformation faisant partie de la stratégie de SPK pour construire toute une mythologie autour du groupe » (Duboys, 2009, p. 93). La formation Throbbing Gristle, qui initie le genre industriel dès le milieu des années 1970, est également sous l'influence des théories de Burroughs et annonce une « guerre de l’information » qui mobilisera le mouvement contre la manipulation des médias de masse. Là où Throbbing Gristle prend conscience d'une nouvelle forme de pouvoir s'exerçant sur la vie psychique des individus, SPK entend dénoncer les formes répressives des conditions de vie des patients en milieu psychiatrique.

Cette fascination pour l'univers psychiatrique et mortuaire implique la notion de douleur, qui est au cœur de l'esthétique élaborée par SPK, le groupe ayant choisi son nom sous l'influence d’un collectif allemand marxiste radical dénommé Sozialistisches Patientenkollektiv (S. P. K.) et dont les théories se développent dans l’ouvrage Faire de la maladie une arme (S.P.K., 1973). Le domaine psychiatrique est investi par Graeme Revell afin d'interroger le statut de parasite incarné par les patients en hôpitaux psychiatriques, en proie à des expériences scientifiques radicales (électrochocs, implants cérébraux, privation sensorielle, etc.). L’individu placé en établissement spécialisé n’est plus apte à vivre parmi les esprits « saints ». Ce système de dénonciation du nuisible mobilise les membres de SPK qui entendent révéler ce phénomène par des enjeux visuels référencés. C'est le cas de l'une des images de la pochette de l'album Information Overload Unit, montrant un patient subissant une privation sensorielle. Il s'agit ici d'une technique de manipulation mentale employée par la CIA dès les années 1950. Ces expériences portaient notamment sur des domaines tels que la stimulation électrique du cerveau, l’hypnose, les ultrasons et la bioélectricité. Ces techniques de « déprogrammation » du cerveau sont dévoilées au grand jour suite au scandale de l’Institut Allan Memorial à Montréal révélant le projet MK-Ultra par le témoignage de certains patients. Ce programme, mené à l’époque par le docteur Donald Ewen Cameron, visait à étudier les modifications du comportement humain par une privation sensorielle. Les scientifiques du MK-Ultra pouvaient plonger des patients dans des caissons pendant des jours en les privant de leurs sens par des casques et des gants et en les soumettant à un son diffusé constamment (fig. 3). La technique du psychic driving répétait par exemple une phrase comme « ma mère me déteste » afin d’étudier « les effets sur le comportement humain de la répétition de signaux verbaux » (McCoy, 2006, p. 43). Les effets d’une telle torture vont d’une schizophrénie aigüe à une dépression situationnelle où les patients sont obligés de refaire leur vie en apprenant à nouveau à lire, à écrire et à cuisiner.
 

Fig 3. Expérience sur un sujet placé dans une « boîte d'immobilisation », 1966.

 

Emploi du bruit en image : diffusion d'une nuisance visuelle

 

Les représentations de cette technique de torture inquiétante (photographies, schémas, etc.), recyclées dans l’univers visuel de SPK, viennent enrichir les tactiques de choc du groupe, à l’instar de la pochette de l'album Information Overload Unit, qui montre un acte de lobotomie (fig. 4). La production est également accompagnée d'un livret de textes et de collages photocopiés, recyclant une imagerie morbide élaborée par Graeme Revell. Il s'agit ici de l'ensemble Dokument One proposant de nombreux articles traitant notamment de séances de tortures et d’expériences scientifiques militaires illustrées par des images tirées d’anciens manuels de médecine et d’une presse pornographique recyclée. Les titres « Selektive Pornography Control », « The Very Best of Scan Porn » ou encore « Meat Processing », présentés dans Dokument One, contribuent à constituer une esthétique de l’accumulation propre aux visuels singuliers du groupe.
 

Fig. 4. SPK. Information Overload Unit. 1981.


L'article « Stress Reduction Training » du livret révèle au public de SPK les techniques de manipulation mentale employées par le laboratoire neuropsychiatrique de San Diego : les patients étaient obligés de regarder des films violents, devenant de plus en plus extrêmes. Le dispositif employé obligeait le patient à visionner des images atroces pour ensuite être interrogé sur ce qu'il venait de voir. Les questions posées étaient conçues de façon à ce que le patient ne puisse jamais trouver la réponse, ce qui avait pour effet d'amplifier la torture de ces séances. La suite du texte décrit les traitements de la médecine chimique en lien avec les recherches scientifiques militaires. L'expérience d'Andreas Baader est également évoquée : il s'agit ici des cellules d'isolements allemandes, nommées Tote Trakt, dans lesquelles une lumière intense se reflétait en permanence sur les murs et les meubles peints intégralement en blanc. L'article « Special Programming Korps » décrit quant à lui les performances des soldats militaires selon leurs conditions physiques et psychologiques, tandis que le texte « Surgical Penis Klinik » relate l'histoire d'un patient ayant subi un traumatisme cérébral dans un accident de voiture suite à son évasion d'un hôpital psychiatrique. L'accident aurait, selon l'avis des médecins concernés, permis au patient de subir une lobotomie « non-programmée », l’autorisant à ne plus retourner dans l'établissement spécialisé.

La découverte de ces visuels et de ces textes par un public non averti peut présenter un phénomène de rejet. Ces images apparaissent dès lors comme éléments intrusifs, se devant d'être supprimées. « Le terme d'interférence désigne bien la nature de l'action du parasite », explique Michel Serres (1982). Et ce sentiment de répulsion est justement au cœur du projet des tactiques de choc de SPK, le groupe cherchant à stimuler l'esprit de son public pour révéler des problématiques propres à son époque. La recherche d'une prise de conscience au contact d'images venant parasiter l’esprit soutient là encore une critique du conditionnement de l'individu dans les établissements psychiatriques, subissant une forme d'enfermement psychologique et physiologique. Avec la série de collages présentés dans Dokument One (fig. 5), SPK invite l’auditeur à participer à ses recherches autour des troubles psychiques. Et si les thématiques et les visuels du livret se rapprochent du bulletin d'information Industrial News, élaboré et édité par la formation Throbbing Gristle, le groupe australien cristallise ses recherches autour d'une esthétisation de l'horreur, marquant une surenchère dans la conception d’images violentes initiée par le groupe australien.
 

Fig. 5. Dokument One. 1981.


Ce phénomène s’amplifiera davantage dans le champ des images en mouvement avec la vidéo Despair éditée par SPK en 1982 et donnant ici tout son sens à la notion de parasite visuel. Cet ensemble provoque en grande partie un sentiment de répulsion en proposant des scènes d’autopsie et des captations de têtes sectionnées et de fœtus malformés (fig. 6). SPK recycle là encore de nombreuses images tirées de revues médicales, montrant pour la plupart d’entre elles des opérations corticales qui évoquent l’emprise des expériences chirurgicales sur les patients en milieu psychiatrique. Les membres du groupe filment également leurs propres images dans des musées spécialisés qu’ils montent avec une vidéo professionnelle d'un pathologiste exécutant pendant une vingtaine de minutes la procédure à suivre pour les opérations post-mortem (Kerekes & Slater, 1994, p. 223). Malgré le choc et le rejet véhiculés par ces images, la violence que le groupe exerce sur le spectateur découle d'une véritable intention et dépasse la provocation gratuite employée par les comportements subversifs d’un groupe comme Whitehouse, qui entretient une forme de séduction vis-à-vis de son public. L'objectif de SPK est de présenter une réalité crue, incarnant une forme de violence occultée par des stratégies de consommation de masse faisant la promotion du corps en bonne santé. Le recyclage d'images répulsives, présentée dans Despair, organise un système de tactiques de choc agissant comme un électrochoc dans le domaine des images. À l'instar d'un bruit amplifié produisant une nuisance sonore, les images de SPK génèrent un malaise qui ne peut être déjoué qu'en détournant le regard. Mais le choc, lui, subsiste. Il parasite la conscience de l'individu faisant désormais parti de la démarche du groupe, en élaborant des images fonctionnant comme un memento mori dans une société postindustrielle aseptisée.
 

Fig. 6. SPK. Despair. 1982.


Cette campagne contre une nouvelle forme de pouvoir, qui occulte les aspects les plus conflictuels de la société occidentale, se matérialise par des moyens oppressifs déployés par SPK lors de concerts déployant des effets visuels et sonores éprouvants, venant parasiter l'ensemble des perceptions sensorielles des spectateurs.

 

La guerre acoustique de SPK

Le bruit permet de mettre en évidence l'action performative de SPK qui agit sur l'ensemble des perceptions du spectateur en adoptant une attitude subversive. Selon Makis Solomos (2013, p. 144) dans son ouvrage De la musique au son : « Opposé au son musical, le bruit est le grand exclu de la musique : l'y intégrer, c'est faire entendre la voix des exclus ». Les attitudes guerrières adoptées par les membres de SPK, employant le bruit et une imagerie violente comme moyens de persuasion, structurent une forme de parasite comportemental en marge d'une culture dominante qui est, selon ces artistes, compromise. Le parasite est ici présenté sous sa forme la plus brute, celle du perturbateur, pour provoquer des réactions par un emploi radical du bruit. En projetant la vidéo Despair sur un écran en fond de scène, les concerts du groupe durant les années 1982 et 1983 se transforment en de véritables épreuves douloureuses, transformant le bruit comme agent répulsif (fig. 7).

 

Fig. 7. SPK en concert, Stranded, Australie, 9 avril 1982.

 

Les membres de SPK prennent conscience des effets délétères de la technologie sur les sens de l'individu dans le contexte d'une société postindustrielle et mettent en scène ce phénomène qu'ils amplifient lors de concerts éprouvants. Il s'agit ici de questionner cette matérialisation de la violence présentée par Despair, en évoquant la distanciation du spectateur et la création d'instruments que l'on retrouve dans « Le Théâtre de la cruauté » d'Antonin Artaud (1938). Ayant connaissance des écrits de l'écrivain français, Graeme Revell recycle des outils industriels qu'il emploie dans ses enregistrements sonores et sur scène. Cette apparente esthétisation de l'industrie lourde, que l’on retrouve sous la forme d’un éloge du progrès dans les compositions de l’artiste futuriste Luigi Russolo, se met en place de manière complètement différente dans le cas de SPK. Il ne s'agit en aucun cas de vouer un culte de la machine, mais de faire paraître le parasite par le bruit dans un cadre antipsychiatrique. L'utilisation guerrière du bruit est en revanche un point commun que partage SPK avec le mouvement italien car, comme le souligne Douglas Kahn (1999, p. 21) dans son ouvrage Noise, Water, Meat, « Le bruit, dans l'avant-garde, était lié aux sons des combats militaires ».

L’attitude guerrière du groupe se matérialise notamment à l’occasion de leur concert de 1982 à San Francisco lorsque SPK, « muni d’un lance-flamme artisanal confectionné par Mark Pauline, dirige l’engin en direction du public, enflammant les vêtements d’un spectateur » (Duboys, 2009, p. 133). Celui-ci ne sera pas blessé suite à cette situation qui aurait pu tourner au drame. Ce dernier point révèle l'une des thématiques privilégiées par le phénomène industriel aux États-Unis concernant le survivalisme, notamment avec le collectif Survival Research Laboratories initié par l’artiste Mark Pauline mettant en scène des machines contrôlées à distance dans le cadre de performances extrêmes. L’élaboration de prestations radicales explique le travail en commun entre Mark Pauline et les membres de SPK. L’emploi de la violence dans les enjeux visuels et sonores de Graeme Revell ne se fera cependant jamais à titre gratuit :

Même si l’on s’applique à dévoiler une forme de violence, je pense que c’est dans une signification négative. Je préfèrerais qu’il n'y en ait pas. À ce propos, Malcolm X a déclaré que “la violence n’est ni bonne ni mauvaise, c’est un aspect de la situation.” [...] La société prétend être passive à l'égard de la violence, alors qu’elle engendre en réalité des atrocités constamment, mais des atrocités cachées. [...] Nous exposons à ce titre leur foire aux atrocités, alors qu'ils choisissent de ne pas la montrer et qu’il la perpétue sans cesse. (Graeme Revell, cité par Juno & Vale, 1983, p. 99)

En employant l’un des titres d’ouvrage de James Graham Ballard, The Atrocity Exhibition (1969), Graeme Revell tente d’expliquer l’emploi de la violence au sein du groupe : l’intention de ce phénomène explicite sur scène étant d'explorer les limites du spectateur en présentant des productions en marge des normes de goût traditionnelles. En cherchant à déconditionner l’individu par des enjeux visuels et sonores, SPK apparaît ici comme un parasite aux yeux d'un système établi.

 

Subversion thérapeutique

 

Fig. 8. Dokument One. 1981.

 

Enfin, le bruit, qui paraît être immatériel dans le domaine du son, est en réalité tout ce qu'il y a de plus physique, notamment lorsque l'on analyse l'imagerie antipsychiatrique de SPK. Les productions du groupe présentent des modes opératoires subversifs déclinant le phénomène parasitaire sous trois formes et résumant les tactiques de choc initiées par Graeme Revell. Si le recours au milieu médical et mortuaire - abordés par des effets visuels et sonores agressifs - incarne ici une esthétisation de l'horreur, les solutions radicales de la formation australienne ont pour ambition de soigner l'esprit de ses auditeurs. Cette intention se manifeste par la représentation de sujets en marge des instances étatiques à l'instar des handicaps physiques et des maladies mentales (fig. 7). Soucieux de présenter une réalité extrême, SPK n'hésite pas à aborder le thème du totalitarisme qui occulte par définition ce rapport à la maladie. En évoquant l'art hygiéniste des régimes totalitaires, Maurice Fréchuret (1999, p. 74) indique que « L'art des systèmes totalitaires exclut la blessure car sa représentation entrerait en contradiction avec le programme d'asepsie généralisée qui touche l'organisation sociale dans son ensemble. » La manipulation du bruit en image se présente chez SPK comme un moyen de mobiliser les consciences collectives face à l'effacement d'une réalité crue mais inévitable. L'esthétisation de cette réalité semble évoquer un parasite et vise à un déconditionnement de l'individu, pour un art que l'on pourrait considérer comme thérapeutique.

Bibliographie

ARTAUD Antonin. 1938. Le théâtre et son double. Paris : Gallimard.

BALLARD James Graham. 1969. The Atrocity Exhibition. Londres : Triad/Panther.

BURROUGHS William S. 1971 . Electronic revolution. Londres : H. Chopin.

CICILIATO Vincent. 2010. « Stratégies parasitaires et nouvelles technologies ou la notion de parasite appliquée aux œuvre dites génératives et/ou interactives. » Parasite(s). Une stratégie de création. Paris : L'Harmattan.

DUBOYS Eric. 2009. Industrial Musics - Volume 1. Paris : Camion Blanc.

FRÉCHURET Maurice. 1999. « L'art hygiéniste des régimes totalitaire », in DAVILA Thierry. L'Art médecine : catalogue d'exposition (Musée Picasso, Antibes, 25 juin - 10 octobre 1999). Paris : Éditions de la Réunion des musées nationaux.

JUNO Andrea, VALE Val. 1983. Industrial Culture Handbook. San Francisco : Re/Search Publications.

KAHN Douglas. Noise, Water, Meat. Massachusetts : The MIT Press.

KEREKES David, SLATER David. 1994. Killing for Culture: An Illustrated Story of Death Film from Mondo to Snuff. Londres : Creation Books.

MCCOY Alfred W. 2006. A Question of Torture: CIA Interrogation, from the Cold War to the War on Terror. New York : Henry Holt and Company.

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S.P.K. 1973. Faire de la maladie une arme. Paris : Éditions Champ libre.