QUAND UN RIEN NOUS ARRIVE
hors-norme

communication dans le noir
de Jean-Luc Guionnet

avec les participations de
Seymour Wright & Pierre-Antoine Badaroux
(saxophones altos)

&

la voix de Didier 

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Quand un rien nous arrive : si l'expérience d'un silence au second degré nous apprend à convertir le continu en vide, que serait l'expérience d'un bruit au second degré ? Et que nous apprendrait-t-il ?

 

Nous convertissons le continu en silence parce que nous y sommes obligés : si le silence est une question de morphologie du son et d'échelle de temps, c'est aussi une question de survie. Autrement dit, sans conversion pas de silence, et sans silence pas de vide entre les sons (à) différencier, potentiellement signifiants (sans vide pas de signe ?). Au bout du compte et contrairement à ce que l'on pourrait croire, le silence au premier degré est théorique (idéal), le silence au deuxième degré est pratique (pragmatique).

 

Claude Simon :
(Diffusion d'un extrait d'émission de radioExtrait d'un ACR (Atelier de Création Radiophonique, France Culture, 1998), production Jean-Luc Guionnet & Éric La Casa : Le bruit de fond..)

« Puis il cessa de se demander quoi que ce fût, cessant en même temps de voir quoiqu'il s'efforçât de garder les yeux ouverts et de se tenir le plus droit possible sur sa selle tandis que l'espèce de vase sombre dans laquelle il lui semblait se mouvoir s'épaississait encore, et il fit noir tout à fait, et tout ce qu'il percevait maintenant c'était le bruit, le martellement monotone et multiple des sabots sur la route se répercutant, se multipliant (des centaines de milliers de sabots à présent) au point (comme le crépitement de la pluie) de s'effacer, se détruire lui-même, engendrant par sa continuité, son uniformité, comme une sorte de silence au deuxième degré, quelque chose de majestueux, monumental : le cheminement même du temps, c'est-à-dire invisible immatériel sans commencement ni fin ni repère, et au sein duquel il avait la sensation de se tenir, glacé, raide sur son cheval lui aussi invisible dans le noirSIMON Claude. 1960. La route des Flandres. Paris : Éditions de Minuit.… »

 

La conversion du continu en vide, n'implique pas forcément que ce vide soit inintéressant, par contre elle implique une certaine forme d'attention, une apnée. Où l'inintérêt décidé demande qu'aucun aguet ne soit convoqué pour x raisons. Quand l'aguet n'est pas convoqué, l'apnée a des chances d'émerger, et un silence de se faire, ou pas : moment de la conversion. Les raisons x reviennent à la situation. Plutôt que de le dire soporifique, disons que le continu tend à éveiller l'apnée. L'apnée penche vers un silence qui est un fond et l'aguet vers un silence qui est un suspend. Mais il n'y a pas de suspend sans quelques intérêts, sans quelques choses signifiantes, ou intéressantes, autrement dit : sans quelques saillances qui l'entourent.

 

Entre 2 mots, il y a un silence.

 

 

Pierre Legendre  :

« Que signifie, le vide pour l'homme ? Nous savons qu'il faut du vide entre les lettres pour qu'il y ait des mots, et que sans la séparation des mots et des choses, il n'y aurait pas de vie de l'espèce humainePierre Legendre, La fabrique de l'homme moderne : « Le langage nous sépare des choses. Il sépare l'homme de son semblable et de lui-même. [...] Occidentaux, industrialistes, nous avons inventé le bruit incessant, les montagnes d'objets, la présence totalitaire du plein. [...] Désertant le vide, nous oublions qu'il faut une scène à l'homme, et que, sans les artifices qui permettent à l'homme d'habiter la séparation d'avec soi et les choses, le langage s'effondre, pour devenir consommation de signaux. ». »

Fin de citation.

On sait que le son jamais ne s'arrête, pourtant nous connaissons l'expérience du silence... De là deux logiques quant au vide : d'une part le vide est le plein de tout ce qui, petit, ne nous intéresse pas, d'autre part, c'est une durée assez continue pour pouvoir être convertie en vide, donc :
1 - le silence est plein de merde,
2 - le silence est ce qui est assez continu pour être converti en vide,
1) tire le silence, du côté du bruit gênant, de l'indésirable et même de la douleur ; 2) tire le silence du coté du bruit de fond, c'est-à-dire du fond sonore du sonore. Sans s'épuiser l'un l'autre, 1 et 2 se croisent sur l'ennuyeux.

 

Tu vas trop vite !

 

Revenons donc au silence au second degré :
Grosso-modo, le silence au second degré émerge du bruit de fond ; en regard, (mais y a-t-il forcément un regard ? y a-t-il forcément une symétrie ?) le bruit au second degré devrait émerger du silence.

 

Thelonious Monk a dit cette phrase :

« Il fait toujours nuit, sinon, on aurait pas besoin de lumièreComment savons nous qu'il a dit cette phrase ? Peut être par Steve Lacy, auquel cas la phrase est plutôt : « It must be always night, otherwise they wouldn't need the lights » (Il doit toujours faire nuit, sinon ils n'auraient pas besoin des lumières), ce qui poserait la question du « ils » : qui sont ces « ils » ? Les vivants ? Les humains ? Les contempteurs de la nuit ? (http://www.swiss-miss.com/2009/02/thelonius-monks-advice-to-saxophonist-steve-lacy-1960.html) Nous la citons ici telle qu'elle nous parvient la plupart du temps, et telle qu'elle apparait, par exemple, en épitaphe du roman de Thomas Pynchon, Contre-jour (Paris : Le Seuil, 2008).. »

Fin de citation.

Cette phrase, c'est un peu L'écriture du désastre, comme si Blanchot avait été un jazzman.

(En fond, puis progressivement le plus fort possible, une prise de son sauvage d'un disque vinyle, de Thelonius Monk en train de jouer « Rhythm-a-ning » en quartet : Two hours with Thelonious - European concerts by Thelonious Monk ; Charlie Rouse (ts), Frankie Dunlop (d), John Ore (db).)

La phrase dit que la lumière, est plutôt faite que donnée et que la nuit, elle, est donnée. Elle dit que la lumière est une tâche, que la nuit est un continu dans le temps et dans l'espace, et que la lumière la coupe. Elle dit peut-être que la nuit est le continu du temps et de l'espace. La nuit est un bloc, la lumière l'outil adéquat pour le tailler. Si l'on transpose la nuit en bruit, cette nuit de Monk, on obtient quelque chose que l'on sait déjà : « Il y a toujours du bruit sinon on aurait pas besoin de silence. » On aimerait pouvoir dire : « Il fait toujours bruit, sinon on aurait pas besoin de silence. » Où le silence est à faire, donc, comme la lumière est à faire.

Il y a l'affirmation d'un artifice des deux côtés, mais celui de la lumière est bien plus choquant que celui du silence. Le silence, nous le savons artificiel, il est là avec les formes et les signes, dans le même ensemble, entre eux, brique de temps, coin à glisser, entre les signes, coin à glisser entre les centres d'intérêt. L'artifice de la lumière nous renvoie directement à l'artifice des perceptions. Le silence est aux signes ce que la lumière est aux choses. Il y a une diamétrale opposition : le vide du silence et celui de la nuit s'opposent car le silence 1 est du bruit, seul le silence 2 est du vide, et le silence 2 n'est plus du son, pas seulement parce qu'il n'en contient pas, mais parce qu'il ne s'exerce pas dans le même monde, pas dans le même ensemble.

Il est plus facile de faire taire les aguets bavards dans le barouf, que de trouver l'apnée adéquate quand précisément rien n'arrive (avec un « n » apostrophe) ou rien arrive (sans le « n' »).

Que rien n'arrive renvoie à l'absence de vide à l'intérieur, c'est que rien n'arrive car, rien, jamais, ne peut arriver. Savoir si ce rien consiste ou n'est que l'expression de la négation. Le rien ne peut pas arriver ? Mais un « rien » parmi d'autres peut, lui, arriver, sans doute.

Quand un rien nous arrive. Qu'est ce que ça veut dire ?
Il y a le « UN », il y a le « NOUS », il y a le « RIEN », il y a d' « ARRIVER ».
Il faut individuer ce rien, l'adresser, savoir quelque chose sur rien, et il faut qu'il arrive. Quand rien arrive et que rien ne peut arriver, ou plutôt, quand un rien arrive et que l'on sait que rien ne peut jamais arriver : ça crie.

(Diffusion d'un extrait de la même émissionACR Le bruit de fond..)

Georg Büchner Georg Büchner, « Lenz ». :

« — Si seulement je pouvais ne plus entendre cela, j'en serais bien soulagé.
Quoi donc mon cher ?
— N'entendez-vous rien, n'entendez vous pas cette terrible voix qui crie tout autour de l'horizon et qu'on appelle d'habitude silence ? »

 

(Dialogue dit une fois en diffusion, et une fois par la voix de synthèse :)

« — Si seulement je pouvais ne plus entendre cela, j'en serais bien soulagé.
Quoi donc mon cher ?
— N'entendez-vous rien, n'entendez vous pas cette terrible voix qui crie tout autour de l'horizon et qu'on appelle d'habitude silence ?
 »

Fin de citation.

Le cri de Lenz, c'est le bruit au second degré, appelons le B2, c'est quand l'alternance de la présence et de l'absence du « n » apostrophe (ou du « ne ») atteint une telle fréquence, que le cerveau larsenne, quand la substance et la grammaire se contredisent à haute fréquence. Il y a une connaissance dans le second degré du bruit, il y a le savoir d'un non-savoir qui s'impose violemment.

« N'entendez vous pas cette terrible voix qui crie tout autour de l'horizon et qu'on appelle d'habitude silence. »

Mais revenons à la nuit :
La lumière entame la nuit, ne la cache pas vraiment, c'est le clair obscur :

(Diffusion d'un extrait d'une composition électroacoustique avec voix et texte« Un ignare bouffi dans l'obscurité », extrait de De l'arrangement des membres, composition pour la chorégraphie du même nom (Compagnie Hop là ! Nous vivons, 1999).. La citation est dite deux fois, une fois criée par la voix dans l'extrait, une fois par la voix de synthèse.)

« Qu'est ce qui est le plus difficile ? La répartition de la lumière et de l'ombre ou le beau dessin ? »

Le petit garçon crie une phrase de Leonard de Vinci :

« Qu'est ce qui est le plus difficile ? La répartition de la lumière et de l'ombre ou le beau dessin ? »

Fin de citation.

Donc, quel clair-obscur pour l'oreille ? On ne passe pas au cri comme ça, ne qualifions pas trop vite l'indéterminé. L'intuition est trompeuse autant que la raison, quand il s'agit de ne pas nommer. Pourtant, le cri doit avoir à voir avec ce que l'on cherche. Éprouver le vide et le transformer, en plein, en l'éprouvant ? Éprouver le silence et, au bout du compte, l'entendre en barouf. Plutôt alors remplir le vide de la conscience qu'on en a.

La nuit de Monk, c'est la sauce spatiale de Weyl, reprise par Feyerabend.

Weyl :

« La reconstruction mathématique du continuum sélectionne, du flux de la substance visqueuse, un amas de points individuels. Le continuum est broyé en éléments isolés, et l'interconnectivité de toutes les parties est remplacée par certaines relations, entre les éléments isolés. En géométrie euclidienne, il suffit d'utiliser le système des points dont les coordonnés sont les nombres euclidiens. La sauce spatiale continue qui s'écoule entre eux n'apparait pasCité par Feyerabend dans « La fin de la raison ».. »

Fin de citation.

Mais, commente Feyerabend :

« la sauce spatiale continue peut se faire remarquer au moment où nous opérons dans de nouveau domaine de recherche ».

Fin de citation.

Le bruit au second degré, c'est exactement ça : quand la conversion du continu, en vide, s'est tellement rodée, que par habitude, on oublie qu'elle est faite, et que l'on prend le vide comme un objet perçu du dehors, alors que tout, nous mène à savoir que : c'est impossible. Puis, le bruit du retour, du retour au continu, le bruit presque douloureux d'avoir à le reconstituer, si l'on tient à une efficace minimum de notre rapport à ce que l'on n'est pas, le monde, etc. mais aussi, à ce que l'on est : par exemple ce qu'on appelle le corps.

Le B2, c'est la fureur violente de l'opération incessante du continu dans le discontinu et du discontinu dans le continu. Ça fait du bruit, mais un drôle de bruitHölderlin, Fragments de poétique : « [...] Mais les sages qui ne différencient qu’avec l’esprit, qui de manière générale, retournent, en toute, hâte, à l’être pur, et tombent dans une indifférence d’autant plus complète, qu’ils croient avoir suffisamment différencié, et qu’ils considèrent comme éternelle, la non-opposition à laquelle ils sont revenus. Ils ont mystifié leur nature à l’aide du degré le plus bas de la réalité effective, de l’ombre de l’effectivité, l’opposition et la différenciation idéales, et elle se venge. ».

Entends-tu quelque chose ? Non ? Rien ? Oui ? Quelque chose ? Quoi ? Tu entends un truc qui fait ceci ou cela… Oui, j’entends, dans le silence, ce truc, cette chose, ce machin. Mais voici que j’entends X ou Y, et là : fin de la tentative de description, on a reconnu et on nomme. Et que nomme-t-on ? La cause du son, non plus le son lui-même. Où le vide est compliqué de la cause. Avec le son, quand on sait, on passe à la cause. Et on en cause.

Autrement dit : avec le son, quand on ne sait pas, on a du mal.

Le bruit au second degré commence là, dans cette disjonction entre le su et l'éprouvé, entre savoir et expérience, entre preuve et épreuve. Le silence au second degré émerge de l'expérience d'un continu, expérience qui nous semble ancrée dans une réalité extérieure, donnée (la continuité du sonore elle-même), le bruit au second degré émerge de l'expérience d'un vide que l'on sait ne pouvoir arriver. Il y a une fausse symétrie entre les deux qui n'est qu'une amplification de celle, fausse aussi, entre bruit et silence tout simplement.

Bruit de sentir un perçu/pensé différent de son savoir.

Pourquoi un bruit ? Parce qu'il n'en finit pas d'épurer sa reconnaissance, car il n'y a pas beaucoup de différence entre le reconnaitre et reconnaitre qu'on le reconnait : il y a une impasse de la représentation, un cul-de-sac, une boucle serrée, un nœud, une fin. On ne sait plus si le « il » de la phrase, est le bruit ou le sujet-au-bruit. C'est d'une part qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre un vide, qui arrive du dehors et un vide généré dedans, d'ailleurs l'un ne va pas sans l'autre. Et d'autre part que le représenté et le fait de représenter se confondent. B2 est entouré de feed-back.

Tu es tout simplement en train de nous dire que le silence, ne nous arrivant pas, quand il arrive quand même, on le rempli alors d'un monologue intérieur débattant de ce hiatus tout en sachant que de sujet intérieur, il n'y en a pas non plus.

Ce qui ne fait qu'ajouter sur ce vide, qui n'existe pas, une couche de bruit : savoir que faire de ces inexistants s'empilant les uns sur les autres.

Et que, donc, il n'y a pas de silence 1, ni même peut être de silence 2, seulement un bruit au second degré.

Oui, mais c'est pas si simple, en tout cas pas pour moi.

Reconnaître le silence quand il arrive remplit le vide du labyrinthe à jamais multiple de la similitude (reconnaitre que l'on reconnait...) : il se remplit d'une identité, que l'on sait fictive, car la réalité qu'elle est supposée renseigner, est cette identité elle-même. Ça larsenneEt recourir à l'intérieur, comme, à un argument, revient à faire appel à un sujet ou à un homme intérieur, or cet hypothétique homme est un homme, nous reculons donc pour ne pas mieux sauter. OUI ! Mais ici, le débat intérieur qui remplit le silence n'est en rien un argument ni même un recours : c'est le constat d'un débat silencieux, d'un bruit qui ne passerait par aucun ampli, l'intérieur s'arrête là, autrement dit : « oui », rien de plus mystérieux que l'extérieur. B.F. Skinner : « On invoque volontiers, l'Homme Intérieur, quand le comportement à expliquer est inhabituel, fragmentaire, ou échappe au contrôle — inhabituel par rapport aux autres parties du comportement de l'individu, fragmentaire par rapport à son comportement dans son ensemble, échappant au contrôle du reste de sa personne. Mais le « reste de sa personne » doit être expliqué à son tour, et quand on en a assemblé toutes les parties, l'Homme Intérieur ressemble à s'y méprendre à l'homme extérieur ». B.F. Skinner, pointe ici, dans son domaine, le larsen dont il est question ici..

Reconnaître le vide, c'est le remplir d'un terme, et c'est boucler l'attention sur elle-même deux fois : le vide, dehors, et le vide, dedans, la conversion alternative et à haute fréquence du plein et du vide, avec en prime le bruit, de la saute irrationnelle, entre l'absence de son et la présence de terme. Le bruit de la faute logique à la fois sue et irrépressible : je n'entends le vide que s'il est aussi en moi. Je ne dois pas le reconnaitre, pas le nommer donc. Si je le reconnais, je remplis le vide d'au moins un terme. Aucun doublé de l'image n'est possible avec le silence, entre son concept et son phénomène. Les noms masquent, celui du silence annule.

On pourrait penser dans un premier temps que l'on arrive grosso-modo à ce bruit second, en chargeant le mulet du nom « BRUIT », de tous ses sens, plutôt plus que moins hétéroclite, et qu'au bout du compte, c'est à l'émergence d'une fonction que l'on assiste : le bruit au second degré, c'est quand la fonction du bruit nous arriveCarnap a lancé un débat sur l'utilisation du mot « rien » dans un passage de Qu'est ce que la métaphysique ? de Heidegger (conférence de 1929). Ce débat a à voir, avec notre affaire de bruit au second degré, au moins pour deux raisons : 1) Peut on prendre la nébuleuse de tous les avatars, d'un terme donné, comme table d'opération solide d'un raisonnement. 2) Le problème que pose le mot « rien » dans la langue (française ici). Carnap reproche entre autre à Heidegger d'utiliser, au fil d'un raisonnement, le même terme « rien » dans plusieurs de ses acceptions grammaticales, et de jouer sur ces discordances logiques, que seule l'équivocité grammaticale de ce mot rend possible, pour faire croire, ou se faire croire que quelque chose de profond se joue là. Il y a le rien de « ne rien faire », et celui du Rien (auquel l'allemand met une majuscule comme à tous les noms propre ou commun, différenciant tout de même un petit peu les deux occurrences du terme). Il y a donc la particule et le substantif, or Heidegger passe de l'un à l'autre, dans la même phrase, et Carnap l'en accuse. Etc. Et si « rien » sert ici d'exemple, il est entendu, ou sous-entendu, que les exemples sont légions. Etc. Une sorte de classique. Nous ne trancherons pas ici. Par contre, on peut dire que ce débat ressemble beaucoup à celui dont se constitue le B2. Où le problème 2 (celui du « rien »), fait que le problème 1 (appliqué au « bruit ») se déploie sans fin..

 

WittgensteinTractatus, 3.324. résume ainsi :

Le philosophe se laisse souvent hypnotiser par l'existence, pour deux objets, d'un même signe. Or, la communauté de signe ne saurait être tenue pour caractéristique des objets eux-mêmes.Voici, brutes, les citations correspondantes de Heidegger et de Carnap : 
Heidegger : « Ce qui doit être recherché est l'étant seulement et rien d'autre ; l'étant tout seul et puis rien ; l'étant uniquement et au-delà de l'étant rien [...] Où cherchons nous le Rien ? Comment trouvons-nous le Rien ? Nous connaissons le Rien... L'angoisse révèle le Rien... Ce pour quoi et par quoi nous étions angoissés, était “réellement” rien. Donc, le Rien lui-même comme tel était présent... Qu'en est-il de ce rien ? Le rien lui-même fait rien. »
Carnap : « Au regard des erreurs logiques grossières que nous découvrons [...], on pourrait supposer que peut-être le mot “rien” possède dans le traité de Heidegger une signification complètement différente de l'habituelle. [...] Car ici le mot “rien” semblerait renvoyer à une certaine disposition affective, peut-être d'une sorte religieuse. Si c'était le cas, alors les erreurs logiques [...] ne s'y trouveraient pas. Mais la première phrase de la citation donnée au commencement de ce paragraphe montre que cette interprétation n'est pas possible. »

Fin de citation.

Pourtant, quand on est à l'écoute, on a l'impression que cette défaillance des mots représente plutôt bien, dans notre langue, ce débat sans fin, que le sonore provoque, quand s'implique de lui un silence, quand le bruit de fond au second degré est en train d'être (ré)inventé.

Pour une fois.

Finalement, le B2, est un bruit de causes, un bruit de causes qui fait causer l'homme intérieur qui n'existe pas, ou qui est tout simplement l'homme extérieur qui pense tout bas. Le B2, c'est la causerie de l'humain, sujet du bruit et du silence.

Mais nous renversons le bruit chaque fois qu'on le nomme. Que serait penser le désordre, sans l’ordonner ? De la même façon, que serait penser le bruit, sans en faire dans sa pensée ? Le B2 est un bruit de causes. Dire que nommer « BRUIT », le bruit , le renverse, en lui donnant un terme, ne dit pas l'inintérêt, de nommer, mais l'innommable ou plus exactement l'innommé, que devrait être le bruit, pour avoir le rôle qu'on lui prête.

D'accord, mais là, nous sommes face à un drôle d'objet, le bruit, puis le bruit au second degré, qui aurait à voir avec le silence, le rien ou mieux, la sensation que rien n'arrive. Et l'équivoque des signifiants semble pour une fois adéquat aux signifiés.

C'est peut être que de signifié, il n'y en a pas. (Excusez-moi, je n'arrive pas à reprendre la voix de Lacan quand je dis ça.) Il n'y en a pas dans la mesure où si le bruit et le silence sont au départ des objets, ils se transforment en fonction ou en opération dans le raisonnement, dès qu'on y pense un peu plus que d'habitude. Le bruit, le silence, le rien, des fonctions dans la pensée, bien plus que des objets à percevoir. On croit nommer un objet qui arrive, une durée qui vient, et on nomme une opération.

(Diffusion d'un extrait d'une émission de radioProduction J.-L. Guionnet & Éric La Casa, Enquête en hauts fonds (ACR - France Culture, 2004), texte « La répartition des mouettes sur une mer d'huile », J.-L. Guionnet (extrait publié dans la revue Enculer, 2009).  )

« 6 - Cette place individuée sur la surface, chaque mouette l'a choisie. Pourtant, l'eau prend une forme adéquate à ce qu'est un corps de mouette. Le choix des mouettes est alors probablement induit par l'eau, même si l’eau, elle, ne choisit rien. Cette boucle dans l’organisation des relations, infuse le temps et l'espace, de l'eau, de l'air et des mouettes, dans ses moindres plis, et menace d’annuler toute forme de hiérarchie temporelle et spatiale en faisant des causes des effets et des effets des causes.

Le continuel train d'ondes parcourant la surface de l'eau dirige l'ensemble du mouvement des mouettes aussi bien que ce mouvement organise le train d'ondes de la surface — les formes que prend cette surface, son état. »

Isolé du reste du sonore, un son nous arrive avec son monde, et son monde est fait de toutes ses causes. Quand un tel son arrive et que son monde paraît disproportionné par rapport aux causes qu'on lui trouve à l'écoute, en y pensant, ça fait du bruit. Tel est le bruit au second degré : le bruit de l'écart entre la perception et l'explication. Et l'explication d'un son ne va pas sans un peu de sa prédiction et vice versa : c'est que la causalité est à reprendre sur son mode antique (par exemple aristotélicien) : motrice, matérielle, finale, formelle...
Un écart donc, entre la perception, l'explication et la prédiction. Et cet écart est maximum quand : rien arrive, ou quand un rien arrive, ou quand rien n'arrive.
Et il s'insinue dans l'écoute et bruite la masse du signal en jetant un trouble sur la causalité de tous les sons dans le sonore. Le B2 est un bruit de causes.

On voit que le bruit est quasiment l'exemple canonique au sens où il transforme l'objet entendu en opération. Dans la pensée, c'est le rien qui va remplir cette fonction : le terme rien passe sans arrêt de l'objet à la fonction, c'est peut-être son rôle dans la pensée. Rien arrive. Rien n'arrive. Dans l'écoute, c'est le bruit.

Il y a de l'idiotie là-dedans.

Le B2 arrive quand on ne sait plus si l'entendu est ici ou là, dedans ou dehors, quand on ne sait plus si on est en train de décrire ce qui est, ou de le juger... De constater une réalité ou de revendiquer l'être d'un possible. Cet idiot-là reste coincé dans l'alternative de la conversion du continu en silence et cela fait du bruit. Et ça crie, même. Pour n'entendre que du B2, il faut être idiot, un idiot d'un genre bien particulier : idiot de l'histoire, car rien n'est plus historique et contextualisé que le lieu de cette alternative ; car rien ne l'est plus que les cribles et la discrimination qui en découle. Pour être disponible, encore faut-il être disponible à être disponible. Cet idiot-là l'est au point de confondre ses constats et ses revendications.

Le B1 c'est l'objet, le B2 c'est l'opération. Ça me semble plus adéquat à la notion de bruit que de le découper en un cortège de définitions à jamais ouvert à de nouvelles recrues. À des niveaux de complexité différents (ensemble des objets, ensemble des opérations), B1 et B2 gardent toute la richesse de la notion.

Fin, Merci.