DESSINS AMPLIFIÉS
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LA TRACE COMME SON

Photos © Magali Sanheira - Archives de la performance à Process Gallery. Paris 2015

Plasticienne, férue d’expérimentation sonore, j’intègre parfois le son dans ma pratique artistique comme un matériau sculptural à part entière, me permettant de travailler sur une dimension supplémentaire : l’espace acoustique. 

Depuis plus d’un siècle la musique bruitiste puise ses origines, aussi bien dans les arts plastiques, la musique contemporaine, que dans les scènes dites « underground » ou populaires. En perpétuel mouvement, elle se ré-adapte sans cesse à l’évolution de la société. 

Avec la musique électro-acoustique, les techniques musicales se sont développées au gré de l’évolution technologique, attachant une importance primordiale au geste et au rapport à l’objet, et faisant la part belle à l’improvisation. 

Cette ouverture dans la musique m’a permise, ces dernières années, de développer un corpus de recherches nommé « dessin amplifié », qui consiste à produire une matière sonore à partir d’un dessin, en explorant les résonances de la matière, du support et de l’acoustique du lieu afin de créer un environnement immersif. 

Les outils de dessin, crayons, pinceaux, charbon, etc., deviennent ainsi des instruments. Il s’agit de les faire résonner, produire de l’accident, et gérer le geste afin d’obtenir une vaste palette de sons concrets, pour que quelque chose s’opère, un glissement entre musique et dessin.

Les dessins sont présentés avec leur substance sonore diffusée dans l’espace, et les instruments ayant servi à dessiner font l’objet d’un inventaire. 

Mon intention est de créer des liens entre forme graphique, objet tri-dimensionnel et résonance musicale, en exploitant leur potentiel plastique. 

 

Dispositif « Making Circle »

Devant une cimaise amplifiée, je trace à bout de bras et au charbon des cercles de mon envergure.

Le geste est contraint par cette forme et l’espace dans laquelle il s’inscrit.

La forme est homothétique et évolutive, le son est modulé par le mouvement, le support et l’acoustique du lieu. 

Chaque fois que le morceau de charbon s’est consommé, désagrégé, je me baisse pour en reprendre un autre à mes pieds. Il se dessine l’empreinte visuelle et acoustique de l’effort qui se consume tour après tour et qui invite à plonger dans le dessin et dans le flux de sons concrets propices à la méditation. 

Au fur et à mesure, le charbon s’accumule en poussière, et le dessin s’agrandit formant une expansion qui se réalise par la ruine et l’exploitation extrême des matériaux, et qui soulève les questions du devenir et de la transformation.
La durée de la performance est définie par l’épuisement du geste et selon la composition sonore. 

A sa suite, l’enregistrement audio est diffusé en boucle pour faire corps avec le dessin et prolonger ainsi le geste. 

On est face à une boucle existentielle de l’éternel retour traçant inlassablement l’impossible perfection. C’est toute l’absurdité de la répétition que je souligne et diffuse à volume sonore élevé.

 

Vue de l’exposition La Répétition.
Commissariat Sylvie Zavatta. Frac Franche-Comté, 2015.
Photo : Blaise Adilon. Production FRAC Franche-Comté.
 

 

 

Dispositif « Nature Amplifiée » 

Les dessins sont réalisés sur un support amplifié par des micros-contact haute sensibilité. Mon travail consiste à créer de nouveaux supports résonnants sur lesquels poser mon papier.

Ensuite, j’utilise des essences de bois, des écorces, des encres et procède par collages. La bande sonore est ensuite composée à partir des sources originales. 

Ces dessins, tels des fragments de nature et leur musique une série de courtes pièces de musique concrète, parfois traitée en direct, constituent un paysage.

 

Dessin Amplifié XXXVIII. 2015 
Dessin, techniques mixtes. 35,5 x 55 cm.

 

Dispositif Carbon Sink

Carbon Sink est un projet électro-acoustique en collaboration avec Gaël Angelis.

Il marque notre intérêt commun pour des systèmes d’amplification et des systèmes électromécaniques « auto-génératifs », permettant d’activer des objets et matériaux par frottements, percussions ou vibrations.

L’Instrumentation est protéiforme, ainsi pour le dispositif Electrikon 67-P j’utilise un vieux scanner, du papier, une pierre et du charbon. Il s’en suit un « dessin-empreinte » à la fin de la performance.

Ces sons concrets associés aux field recordings de Gaël Angelis construisent un environnement musical immersif, « noise » et organique, aux couleurs industrielles, récits imaginaires sur une nature en péril.

 

 

Archives de la performance Electrikon 67-P, à Process Gallery. Paris 2015.

 

Electrikon 67-P,  2015
Diptyque audio-visuel : dessins amplifiés.
Papier, charbon, cadres noirs 100×71 et 100x50 cm.
Enregistrement audio 24’36“, issus du morceau éponyme.

 

Dans le « dessin amplifié » se joue la trace de l’action, il est comme une empreinte visuelle et sonore du geste. Dans son installation, le dessin n’existe qu’avec sa partie sonore, ils sont indivisibles. 

Une particularité de ces formes d’écritures sonores, c’est aussi le rapport au temps. 

Certaines directives sont données avant de jouer mais sur les dessins mêmes, il n’y a pas de mesure, pas d’indication de tempo, les empreintes suggèrent le son. 

Ils seraient alors comme une sorte de partition non-linaire où viennent se superposer les différentes temporalités des gestes accomplis.