TELLE UNE ILLUSION QUI S'ENFUIT AU RÉVEIL
intervouïe
POUR VIOLONCELLE, PÉDALES DE DISTORSIONS ET SUPPORT AUDIO

Dédié à Hugues Vincent

Cette musique travaille sur une constante tension entre moments pleins et moments creux. Les éléments saturés (aussi bien en son qu'en informations) sont quasi systématiquement interrompus, arrêtés dans leur élan par des éléments simples, suspendus.

C'est une pièce imaginée comme un duo entre le violoncelle et le support audio, chacun amenant sa spécificité de jeux. Ici, duo ne veut pas dire dialogue. Il n'y a pas d'échange de motifs, par exemple, mais le violoncelle et le support audio montrent plutôt une même volonté de participer aux mêmes sensations : entre énergie et vide.

Vincent Laubeuf

L'Autre musique (LAM)

La notion de « bruit » est-elle pertinente dans votre approche personnelle du sonore et du musical ?

Vincent Laubeuf (VL)

Le « bruit » est une notion importante mais ambiguë, car recouvrant plusieurs significations : le bruit parasite, les sons à hauteur non déterminée. J’aime aussi penser la notion de bruit comme une sorte de perte du sens, de la compréhension : trop de sons (même si ce sont des sons traditionnels d’instruments) deviennent bruit.

Pour le bruit en tant que parasitage : c’est fondamental dans mon travail, parce qu’il amène quelque chose qui n’est pas entièrement contrôlé sur le son. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le sale, mais l’incertitude que celui-ci peut amener, une manière de complexifier le son. Je pourrais presque comparer cela à une ornementation du son (comme celle que l’on retrouve jusqu’à la période baroque, lorsque l’on se contente de parler de musique occidentale).

Pour les bruits en tant que sons à hauteurs non déterminées, ils perdent, à mon sens, l’appellation de « bruit » lorsqu’ils sont utilisés par un compositeur : qu’ils soient choisis les fait rentrer dans un certain « vocabulaire » et donc les fait partie intégrante du corpus de sons possibles, et ainsi les intègre totalement au reste. Ayant dit cela, j’utilise des sons que l’on pourrait appeler « bruits » (je pense en particulier aux sons écrasés du violoncelle) pour leur capacité expressive, d’apport de tension.

Hugues Vincent (HV)

Voyez-vous une différence entre les mots « bruit » et « son » ? Pour moi, le bruit fait partie du vocabulaire musical. Qu'il soit intégré à la partition est un travail intéressant (comment écrire les bruits ?) qui est loin d'être achevé.

Dans mon travail d'impro, selon les lieux ou je joue, je dois souvent m'adapter aux bruits qui environnent le lieux ou je joue… Bruits de rue, du voisinage, air conditionné, tuyaux d'eau, sons du public… Parfois intéressant, parfois difficile…

LAM

Le bruit est-il encore subversif aujourd'hui ?

HV

Non. Il fait partie du vocabulaire musical depuis bien longtemps… Même si sa notion d'écriture n'est pas achevée, il fait partie du vocabulaire courant de la musique.

VL

Le bruit a pour moi perdu un peu de son caractère subversif.
La saturation est présente un peu partout et, même dans la pop, le bruit est utilisé (le plus souvent cantonné dans les introductions). Donc il a perdu un peu de sa puissance, l’habitude faisant son œuvre.

De plus, nous sommes sans cesse entourés de bruits, mais cette fois-ci dans le sens désagréable du terme : celui qui fait que l’on n’est envahi d’informations, le plus souvent contradictoires, et en tout cas trop nombreuses pour en comprendre le sens : sons urbains divers, foule… J’ajouterais pour ma part, qu'en tant que forme de bruit, la musique présente partout (mais non écoutée, seulement comme ambiance)…  Là encore, pas de subversion, mais plutôt un comblement de la peur du vide, allant jusqu'à une forme de manipulation.

Ce que je veux dire, en substance, c'est qu'en tant que musicien, si j’utilise ce que l’on appelle bruit, ce n’est pas un acte subversif, mais plutôt une volonté d’ouvrir des oreilles, de faire ressentir (en fonction du forme de dramaturgie).

Et, par opposition, j’ai le sentiment que le silence, lui, devient (re-devient ?) plus subversif encore.

LAM

Comment écrit-on le bruit ? Comment interprète-t-on le bruit ?

VL

Ecrire un bruit : j’utilise une partition assez traditionnelle, avec quelques signes spécifiques de modes de jeu. Les quelques tentatives faites de partition graphique, lorsque j’étais étudiant, n’ont pas été concluantes. J’ai en effet remarqué que c’était un outil assez partagé, efficace et donc rapide à comprendre pour nombres d’interprètes avec qui je travaille. Et que, finalement, les libertés d’interprétations (fondamentales pour moi) restaient grandes.

Avec Hugues, cela aurais pu être différent (il a une grande habitude de l’improvisation et des musiques sans notations), mais j’ai eu finalement envie, dans ce projet, que chacun amène sa manière de travailler : moi mon travail de compositeur traditionnel (avec tout de même le côté moins traditionnel de l’électroacoustique), lui son approche du son.

Ayant dit cela, il est vrai que j’ai tout de même l’intention, dans une future création, de retenter l’aventure de la partition graphique, en élaborant la partition en collaboration avec les musiciens. Ce type de partition sera ainsi basé sur une souplesse du sonore, à la possibilité d’obtenir des choses, des subtilités, que l’on ne peut transcrire avec une partition traditionnelle.

Sinon, une grande part des bruits, dans ma musique, sont également apportés par l’électronique (donc pas de notation, mais en travail direct sur le son) et par la pédale de distorsion dans le cas de Telle une illusion qui s'enfuit au réveil. Cette dernière a également une notation assez simple. Les réglages des deux pédales étant faites une fois pour toute pendant la pièce, seule leur présence et leur volume est noté. À préciser que les réglages sont laissés libres à l’interprète, en fonction des pédales qu’il utilise, avec seulement des indications générales sur leur manière de sonner.

HV

Pour cette pièce, assez peu de « bruits » sont notés sur la partition… L'usage des distorsions est pour moi différente de la notion de bruit. C'est une notion d'effet, comme jouer ponticello ou autre…

Mais le travail sur les « bruits », ou effets, ou interprétation de la partition entre compositeur et interprète, est passionnant, et demande que compositeur et interprète se comprennent bien. Après 30 ou 40 concerts d'impro ensemble, je crois qu'on se comprend assez bien, avec Vincent. Ce travail sur sa composition m'a permis de mieux comprendre un de ses aspects de langage : sa façon d'interrompre les éléments saturés, sa balance entre plein et creux…